Films en aparté
30 janvier 2016
Walid Bouchakour
Devant la faible fréquentation des rares salles de cinéma encore en activité, on pourrait facilement conclure que le public se désintéresse totalement du cinéma.
Pourtant, la consommation de films continue bel et bien à travers d’autres canaux. Les multiples vendeurs de DVD à la sauvette et les boutiques plus ou moins légales sont là pour le prouver. Le cinéma se consomme certes en solitaire ou en petit comité mais le besoin d’images reste d’actualité…
« Ce qui marche surtout, ce sont les séries américaines. Viennent ensuite les films avec les compils qu’on fait. Tu as quatre ou cinq films du même acteur sur le même DVD. Une bonne affaire ! », déclare un jeune vendeur algérois.
En parcourant les présentoirs accrochés dans les ruelles d’Alger-centre et de Bab-el-Oued, on note une composition similaire de la marchandise proposée. Il s’agit de fichiers vidéos compressés (DIVX, MPEG, AVI…) gravés sur DVD, cédé à 100 DA en moyenne. Les séries et films américains arrivent en tête, suivis des dessins animés doublés en français, en arabe ou encore en tamazight (voir encadré). Les séries syriennes et turques ont aussi leur place.
On trouve également des documentaires ainsi que les classiques du cinéma algérien. « J’ai revu toute la série des Hassan avec Rouiched grâce aux cd achetés dans la rue. C’est plus pratique que d’attendre leur diffusion à la tv », nous confie Redouane, agent de sécurité qui meuble ses nuits blanches avec les chefs-d’œuvre du cinéma algérien. Certains vendeurs offrent aussi un service à la carte ! Il suffit de demander un titre pour l’avoir dans les jours qui suivent, le temps de le télécharger sur la toile.
La qualité est toutefois aléatoire selon la source, entre les films en qualité DVD et ceux qui sont capturés dans des salles de cinéma avec des caméras d’amateurs. Ainsi, certains films sont disponibles dans les rues des villes algériennes quelques jours seulement après leur sortie officielle en Europe ou ailleurs.
« A la maison, il nous arrive de regarder toute la saison d’une série avant même la diffusion du premier épisode à la tv. Certaines fois, elles ne sont disponibles qu’en anglais. Cela nous permet en même temps d’améliorer notre connaissance de la langue », raconte Sabrina, cadre dans une entreprise privée. Le public algérien est donc à la page (ou à l’écran !) et le succès récent de la projection du dernier Star Wars à la salle Ibn Khaldoun d’Alger vient en témoigner.
Si le cinéma populaire (américain, égyptien ou indien) se consommait en masse dans les salles obscures durant les années ‘60 à ‘80, la parabole a pris le relais dans un temps qui coïncidait avec une dégradation des conditions économiques puis sécuritaires qui rendait les sorties culturelles difficiles ou impossibles. -
Les loueurs de VHS ont ainsi fleuri à tous les coins de rue durant la décennie noire. Ces ilots de culture et de divertissement proposaient quelques heures d’évasion sur bande magnétique pour la modique somme de 30 DA la journée de location. Ces derniers ont, petit à petit, cédé la place aux VCD et aux DVD vendus entre 100 et 200 DA chez les disquaires ou sur les étals des vendeurs de rue.
Avec la démocratisation toute relative de l’Internet à haut débit et la possibilité pour tout internaute de télécharger gratuitement ses films, la vente de DVD s’en est ressentie. De passage dans une grande boutique d’audiovisuel située rue Hassiba Ben Bouali, on se rend compte que les étages réservés auparavant aux DVD ont été réinvestis en espace de vente de meubles.
Le vendeur nous oriente vers un voisin, anciennement vendeur de CD et DVD, qui lui-même s’est reconverti dans la vente d’électro-ménager faute d’une clientèle régulière. Il faut monter vers les hauteurs d’Alger dans le quartier de Sidi-Yahia pour trouver un vendeur de dvd aux présentoirs bien achalandés avec, luxe suprême, des films classés par genres, réalisateurs et acteurs. La composition est similaire à celle des vendeurs à la sauvette avec le cinéma hollywoodien en tête, sauf qu’ici l’offre est légale avec les timbres de l’ONDA apposés sur les pochettes de films. « Je viens régulièrement ici acheter les dernières sorties cinéma. A 200 DA, le prix reste abordable et on est au moins sûr de voir le film avec une très bonne qualité d’images. Ce n’est pas toujours le cas avec les CD vendus dans la rue ou téléchargés sur internet.
Cela sans parler du débit de la connexion ! », témoigne Nassim, qui préfère regarder ses films en compagnie de ses copains de lycée invités chez lui. Il ne faut pas croire que l’offre se résume aux grosses productions commerciales. Il suffit de chercher un tout petit peu parmi les étals pour tomber sur des pépites cinématographiques. En longeant la rue Hamani (ex. Charras), on découvre Malek, un vendeur pas comme les autres.
Exit les gros bras de Vin Diesel et les sourires commerciaux de Will Ferrell. Ici le néoréalisme italien côtoie la nouvelle vague française et les westerns-spaghetti s’affichent entre deux chefs d’œuvres d’Alfred Hitchcock. Veste kaki, teint halé et cheveux en bataille, Malek affirme faire œuvre de résistance en occupant ainsi l’espace public. Ce quinquagénaire (qui ne les fait pas !) a d’abord été bouquiniste avant de se tourner vers les dvd. La résistance de Malek n’exclue pas une certaine désillusion : « L’an passé, j’étais à la cinémathèque pour voir l’Etranger de Visconti, se souvient-il. Je m’attendais à trouver la salle comble pour ce film qui nous concerne à plus d’un titre. Mais on n’était que six personnes dans la salle.
Là, j’ai compris qu’il ne reste pas beaucoup d’espoir. Je me souviens d’une époque où on enchainait trois films de suite en allant de salle en salle à Alger ». Il affirme toutefois résister « D’abord avec mes propres enfants qui connaissent le cinéma de Charlie Chaplin avant même d’entrer à l’école » mais aussi en proposant du cinéma de qualité ainsi que des documentaires sur l’histoire des civilisations, l’évasion ainsi que les biographies de penseurs et d’inventeurs. Bref, Malek fait œuvre d’utilité publique. La moyenne d’âge de sa clientèle se situe entre 40 et 60 ans, assure-t-il.
Quand on l’interroge sur les étudiants de la « fac centrale », à quelques mètres de là, il nous répond, le sourire en coin, qu’ils « vont plutôt chez mes voisins pour faire des photocopies des notes de cours ». Notre vendeur-militant n’est toutefois pas fermé à la jeune génération et partage avec plaisir ses conseils cinéphiliques pour peu qu’on le sollicite. « Dernièrement, j’ai fait découvrir le film Douze hommes en colère à un étudiant qui n’en revenait pas qu’on puisse faire de tels films dans les années ’50. Le cinéma américain d’aujourd’hui, ce sont des recettes toutes faites et les séries ne sont que des produits de large consommation sans profondeur », martèle Malek qui, comme beaucoup de cinéphiles, affiche des goûts et des dégoûts bien tranchés.
Le cinéma globalisé aurait-il gavé, à la manière d’un fast-food, toutes les faims de cinéma chez les jeunes ? Abdennour Hochiche, président de l’association Projectheurts de Bejaia, nous invite à relativiser ce jugement. Il propose un constat plus nuancé, tiré d’une expérience de douze ans dans l’initiation au cinéma : « Il y a toute une mythologie de l’Algérie des années 70, pays des 400 salles de cinéma, pays de la cinéphilie. Mais quand on a commencé en 2002, il n’y avait rien de tout ça… On ne peut pas se cramponner à une façon de voir des films qui date des années 70. En tant qu’association, on est tenus d’actualiser notre regard. C’est sûr que les jeunes ne vont plus au cinéma.
On ne peut pas leur en vouloir, tout simplement parce que l’offre n’est pas là. Les jeunes qui viennent dans notre association arrivent pourtant avec une certaine connaissance et une envie de cinéma, un réservoir d’images et des références qui sont les référence de ce qui se fait aujourd’hui… Notre travail d’association est de connecter le film au cinéma.
Le jeune qui passe ses journées à regarder des films, et il y en a beaucoup, doit juste savoir que ce film fait partie d’un art qui s’appelle le cinéma ». Hochiche donne l’exemple concret de jeunes spectateurs qui, suite à des débats organisés par l’association sur des blockbusters, ont commencé à s’intéresser à d’autres formes de cinéma. Il note à ce propos une démocratisation de l’accès aux films via Internet qui abolit les contraintes physiques et permet un accès illimités à un catalogue potentiellement infini de films. Hochiche reste toutefois convaincu que les salles obscures restent irremplaçables pour rassembler les cinéphiles. Contrairement au web qui propose une cinéphilie plus solitaire.
Les deux restent complémentaires et la consommation domestique de cinéma devrait certainement être prise en compte par les promoteurs culturels et les institutions pour une politique culturelle qui parte des pratiques concrètes des citoyens, plutôt que de considérations abstraites.
Sur le site du journal algérien El Watan
Production Bledwood
30 janvier 2016
Outre la consommation cinématographie « hors circuits », il existe également une production locale plus ou moins artisanale qui s’écoule via le marché du DVD.
Prenez le bus à la gare routière en direction d’Oran et vous découvrirez, en chemin, l’inimitable cinéma de la débrouille produit en masse dans les petits studios de l’ouest. On y retrouve certains acteurs des comédies diffusés à la télévision durant le ramadhan et d’autres plus « underground » dans des sketchs qui donnent libre court au génie populaire.
Comparable au cinéma « Nollywood » nigérian (deuxième mondial de par la quantité), dans son mode de production, de distribution et de consommation, le cinéma « Bledwood » répond à une demande certaine : « Comme la nature a horreur du vide, c’est une production qui vient compenser un certain cinéma algérien populaire qui avait, aussi bien à la télévision qu’au cinéma, eu son heure de gloire entre les années 60 et 80 (Hassan Terro, L’inspecteur Tahar, Boubagra). Personnages sans qualités (en apparence)…Ce sont des produits où le petit peuple est le sujet principal avec ses préoccupations quotidiennes », écrit Hadj Miliani.*
Parmi les produits les plus largement consommés de cette production à petite échelle on retrouve également les films et, surtout, les dessins animés doublés en tamazight dans le parler kabyle. Les studios de doublage situés à Tizi Ouzou ont sorti un grand nombre d’adaptations de films d’animations à l’image de Alvin et les Chipmunks devenu Li Mucucu, des Schtroumpf traduits en Iferfucen ou encore l’Age de glace kabylisé en Pucci. Plus que la simple traduction des dialogues, le doublage use sciemment des références algériennes souvent en décalage avec les références originelles. Un décalage qui ajoute à la charge humoristique du doublage et fait en grande partie le succès de ces adaptations consommés aussi bien par les enfants que par leurs parents.Deux exemples créatifs de productions locales dans les marges du marché global.
*Hadj Miliani, « Bledwood ou le cinéma du pauvre à l’assaut de la mondialisation », Turath n°5, CRASC, Oran, 2005.
Sur le site du journal algérien El Watan
Le souk des stars
30 janvier 2016
Akram El Kébir
Il est possible, à Oran, de dénicher tous les grands chefs-d’œuvre du septième art, mais à la condition tout de même de connaître les bonnes adresses.
En effet, on peut acquérir en ville et à peu de frais, tous les grands films qui ont été produits depuis les années 20 ou 30, sous format DVD. Pour cela, il faut ni plus ni moins se rendre au marché populaire de Mdina Jdida par un vendredi matin.
Non loin de la fameuse place Tahtaha, dans une des ruelles perpendiculaires, le cinéphile trouve alors son content : des films, partout des films, en quantité industrielle et étalés à même le sol ! Une véritable caverne d’Ali Baba pour les amoureux du cinéma. Une bande de joyeux drilles, composée de nostalgique de la belle époque où les salles obscures grouillaient à El Bahia, ont décidé d’accaparer deux à trois ruelles, de façon hebdomadaire, pour en quelque sorte, disent-ils, « renouer ou perpétuer cette passion du cinéma ».
Les revendeurs sont pour la plupart des retraités, mais on en trouve d’autres qui ont la quarantaine à peine entamée. Certains d’entre eux travaillent toute la semaine dans de pénibles chantiers, avant de venir, le vendredi à Mdina Jdida, pour un tant soit peu arrondir leurs fins de mois. Tous sont de véritables passionnés qui connaissent l’histoire du cinéma sur le bout des ongles. « On n’a pas besoin de FNAC à Oran, on a Mdina Jdida ! » plaisantent certains cinéphiles, habitués à se rendre hebdomadairement dans ce marché populaire sur les traces de leurs passions filmiques. « Parfois, raconte l’un d’entre eux, je me rends là bas dans l’espoir de trouver un ou deux films que je cherche depuis longtemps. Au final, je retourne à la maison avec un paquet d’au moins quinze DVD ! » Il faut savoir qu’à Mdina Jdida, contrairement au centre-ville, les films sont cédés à des prix encore plus modiques : 70 DA l’unité. Et quand il s’agit d’un film très rare, ou très demandé, le tarif peut alors s’élever à 100 DA, mais jamais plus.
« Il y a vraiment des perles rares, nous explique un autre habitué. La dernière fois, je suis tombé sur Le Petit Soldat, un film de Jean-Luc Godard sur la guerre d’Algérie. Il y avait aussi Au cœur de la Casbah de Pierre Cardinal, un film là encore tourné en Algérie durant les années 50 » Un jour, je suis allé m’enquérir sur les films de Marcello Mastroianni, le revendeur m’a demandé de revenir le vendredi suivant. Quand j’y suis retourné, il m’avait montré au moins une dizaine de films de cet acteur, j’en suis resté ébahi ! ». Pour ce qui concerne le cinéma italien, force est de dire que ces revendeurs offrent un choix de films très vaste : la plupart des œuvres d’Ettore Scola, de Dino Risi, ou encore de Vittorio De Sica ou de Fellini sont proposés.
Quant à Luchino Visconti, absolument toute sa filmographie est disponible. Ces chefs-d’œuvre ne sont peut-être pas systématiquement exposés, mais il suffit de les demander au revendeur pour que ce dernier « comme par enchantement », les sorte de son sac à dos, ou alors, vous demande de revenir la semaine suivante.
Notons en outre que le choix de films proposés par ces revendeurs se renforce, semaine après semaine, au gré de plusieurs paramètres. Il suffit en effet qu’un film, jusqu’alors très rare ou introuvable soit mis en ligne (en streaming) ou « passe » sur une chaîne câblée pour qu’en un tour de main, ces revendeurs le saisissent au vol et le proposent à la clientèle.
Le vendredi matin, à Mdina Jdida, il règne vraiment une ambiance spéciale. Les gens ne se contentent pas d’acheter mais se complaisent à « faire causette » avec les revendeurs ou entre eux, en parlant longuement de tel ou tel film, ou de tel acteur ou actrice, ou encore de telle anecdote qui s’est déroulée pendant le tournage de tel film. De sorte qu’en quittant Mdina Jdida, le cinéphile se sent comme enrichi et ragaillardi.
Sur le site du journal algérien El Watan
Lancer du disque
30 janvier 2016
Ameziane Farhani
De la même manière que nous avons vu disparaître autour de nous les grosses cassettes VHS (Video Home System) et les magnétoscopes qui les utilisaient, il est fort probable que les DVD (Digital Versatile Disc) disparaissent aussi et plus vite que nous ne pouvons l’imaginer.
Les tendances du marché mondial sont claires, de même que les prévisions des experts en la matière. Bien plus performant, durable et fiable que le VHS (qui ne se souvient pas des problèmes de bobinage des bandes magnétiques ?) le DVD est né en 1995 après l’accord d’une dizaine d’industriels dans le monde pour adopter un standard commun. Les premières ventes mondiales de lecteurs de DVD ont eu lieu au Japon (1996) et aux USA (1997). A partir de là, ce format de vidéo physique (pour le distinguer désormais de la vidéo immatérielle comme celle issue des téléchargements) a connu une progression fulgurante dans le monde.
Le DVD était doté à sa naissance de systèmes contre le piratage mais ceux-ci, en dépit de plusieurs adaptations, ont été cassés par des hackers. Ce phénomène n’a pas empêché à ses débuts le développement continu du produit dans le monde. Mais, à partir du milieu des années 2000, soit dix ans à peine après son invention, le DVD a commencé à présenter des signes d’essoufflement et des tendances baissières. En France, par exemple, il connaissait en 2006 une décroissance de près de 13 % de son marché.
On comptait en 2005 pour ce seul pays 120 millions de téléchargements illégaux de films sur Internet ! A cette première concurrence illégale, est venue s’ajouter, tout légalement, la multiplication des chaînes de télévision dont les programmes comportent des films de cinéma, ainsi que l’apparition de chaînes spécialisées dans le septième art. Aussi, sans recourir aux téléchargements, un téléspectateur peut disposer chaque soir d’une offre importante de films.
Aujourd’hui, les projections du marché mondial établissent pour 2018 une forte baisse de la vidéo physique (sur support matériel), baisse évaluée à un quart de sa valeur par rapport à son niveau de 2013. Au même moment, on assistera à une très forte avancée de la vidéo à la demande (sur réseau) qui progresserait ainsi de 90 % par rapport à l’année 2013. Le recul du DVD devrait profiter au format Blu-ray qui s’imposera comme le produit dominant du marché de la vidéo physique dont il ne fera cependant que ralentir la chute inéluctable.
D’ores et déjà, le grand gagnant de cette gigantesque bataille apparaît à travers la vidéo dite OTT (Over The Top), dématérialisée à travers la fourniture de films à des abonnés par des diffuseurs utilisant les infrastructures d’opérateurs de réseaux Internet. C’est le cas de Netflix, Hulu ou Lovefilm qui regroupent déjà des millions d’abonnés en Amérique du Nord et en Europe. Qu’en sera-t-il dans les pays du Sud comme l’Algérie où les DVD et les téléchargements illégaux de films demeurent le principal accès à l’art cinématographique ?-
Sur le site du journal algérien El Watan
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