Rencontre avec Riad Sattouf Auteur et dessinateur de bande dessinée

, par Mohammad Bakri


Le 10.10.14
Neila Latrous

El Watan


Le défi qui attend la jeunesse du monde arabe est l’égalité femmes-hommes


Artiste multifonction, Riad Sattouf renoue avec ses premières amours dans L’Arabe du futur, une bande dessinée hilarante sur l’enfance au Moyen-Orient. Toute ressemblance avec l’Algérie ne serait que fortuite. Rencontre.


  • L’Arabe du futur, c’est clairement une autobiographie ?

Si on part du principe que ce livre raconte des événements réels qui me sont arrivés, oui ! Mais j’ai voulu centrer le livre surtout sur le personnage du père et du rapport de l’enfant à celui-ci. Le livre en lui-même n’est pas présenté clairement comme un livre sur ma vie ! Sur la couverture, il est écrit « Une jeunesse au Moyen-Orient... » et non pas « Ma jeunesse... » et sur la 4e de couverture, je parle « d’un enfant blond et de sa famille », je n’utilise pas le « Ma famille ». Il était important pour moi de garder cette distance : je ne suis pas grand amateur de récits autobiographiques, je les trouve souvent très complaisants et flatteurs pour leurs auteurs, qui prennent parfois grand plaisir à se ménager ! Je ne voulais pas faire la même chose, effrayer les lecteurs avec un « Moi, Je » trop important !

  • Votre mère est Bretonne, votre père Syrien. Dans votre bande dessinée, on a l’impression que votre mère consent beaucoup d’efforts pour intégrer la culture arabe. Est-ce toujours le cas aujourd’hui dans les couples mixtes ?

Il est très difficile pour moi de parler de généralités sur ce genre de sujet ! Il se trouve que c’était le cas dans ma famille, oui. Mon père était le chef, c’est lui qui commandait et sa femme et ses enfants le suivaient partout où il allait et lui obéissaient. Je ne peux correctement parler que de ce que je connais ! Mais dans le cas de ma famille, il était impensable pour mon père d’abandonner ses origines et ses traditions, pour se conformer à un autre style de vie. C’était à ma mère de faire cet effort.

  • Le premier tome raconte ces premières années entre la Libye de Mouammar El Gueddafi, la Syrie de Hafez El Assad et la France de Georges Pompidou. Certaines situations transpirent l’absurde. Malgré tout, enfance heureuse ?

Quand on est enfant, on prend le monde comme il vient. Je dirais qu’il s’agissait d’une enfance très intéressante, mais que je suis bien heureux qu’elle soit terminée.

  • Pour vous, qu’est-ce qui a changé dans les trois pays depuis votre enfance ?

La France s’est enrichie, la Libye et la Syrie se sont détruites de l’intérieur. Dans L’Arabe du futur, vous dessinez un père pétri de contradictions. Qui semble déchiré parfois entre modernité et conservatisme. Cela ne semble pas être votre cas. Vous dites : « C’est ce qu’il y a de bien dans le fait d’être métis, ça rend caduque toute idée de patriotisme. »
Je le raconte dans le livre : j’ai connu une certaine mise à l’écart, pleine de préjugés « racistes » de la part de certains enfants de mon village de Ter Maaleh à cause de mes origines françaises. Ensuite, j’ai connu une chose un peu équivalente en France à cause de mon nom « arabisant » et bizarre. Je n’ai donc pas pu me considérer fier d’appartenir à l’un ou l’autre bord ! Etrangement, j’en ai gardé un sentiment extrêmement profond d’égalité entre les hommes, et une absence totale de complexes pour parler des bassesses humaines !

  • Ce qui est frappant vu d’ici, c’est la similitude entre la Libye et la Syrie de votre enfance et l’Algérie d’aujourd’hui. Maisons inachevées pour échapper au fisc, conflits familiaux autour de la vente de terrains, moustache omniprésente en signe de virilité, corruption, népotisme, maltraitance des animaux. Des comportements endémiques au monde arabe ?

Votre question est l’une des questions les plus drôles que l’on m’ait jamais posées ! Et en plus, elle me fait très plaisir, je vais la ressortir, quand on mettra en doute la véracité de ce que je raconte ! Mais vous savez, hélas, ne pas vouloir payer ses impôts, se trahir en famille pour des possessions et être complètement corrompu, ce n’est pas spécifique au monde arabe : ce sont de grands spécificités humaines !

  • Vous avez, me semble-t-il, vécu une partie de votre enfance aussi en Algérie. Quelle image en gardez-vous ?

Hélas, il s’agit d’une stagiaire d’une maison d’édition qui, un jour, a ajouté ça en ayant mal compris dans une biographie, et cela a été repris... Je n’ai jamais habité ni visité l’Algérie !

  • Y êtes-vous venu depuis ?

Non ! Jamais.

  • L’Arabe du futur, c’est vous tel que votre père vous imagine à six ans. Comment vous l’imaginez, vous, l’Arabe du futur d’aujourd’hui, celui d’après les révolutions ?

Je ne suis pas expert en la matière, vraiment !... Mais je crois pouvoir dire que je suis convaincu que le défi essentiel qui attend la jeunesse du monde arabe est l’égalité femmes-hommes. L’ultraviolence que génère ce sujet est déjà tellement importante en Occident... Mais le monde arabe devra aussi passer par-là ! Il n’y a pas d’autre route ! On ne peut se priver des talents de la moitié de l’humanité ! C’est, je crois, le cœur sombre de tous les problèmes...


Bio express :

Auteur, dessinateur, acteur, réalisateur, Riad Sattouf est né le 5 mai 1978 à Paris. Le futur touche-à-tout passe une partie de son enfance entre la Libye et la Syrie, où il apprend l’arabe, avant de poser ses valises en Bretagne à 13 ans. Après une école d’arts appliqués à Nantes, il intègre la prestigieuse école des Gobelins, section animation. Dès le début des années 2000, Riad Sattouf publie, publie, publie. Au rythme de plusieurs œuvres par an. Et engrange les prix René Goscinny en 2003, Jacques Lob en 2007. Globe de cristal en 2008. Fauve d’or à Angoulême en 2010. Il écrit, réalise et apparaît dans des films. Son premier, Les Beaux Gosses, remporte le César du meilleur premier film. En 2014 paraît L’Arabe du futur chez Allary Editions.

Sur le site du journal algérien El Watan

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