Littérature et cosmopolitisme : discours, poétiques, pratiques, circulations Séminaire 2015-2016 - ENS Paris

, par Mohammad Bakri

ENS, 45 rue d’Ulm, salle Beckett, du 9 octobre 2015 au 20 mai 2016, un vendredi par mois, de 14h à 16h.

Organisateurs : Guillaume Bridet (Université de Bourgogne/CPTC), Xavier Garnier (Sorbonne Nouvelle - Paris 3/THALIM), Sarga Moussa (CNRS/LIRE), Laetitia Zecchini (CNRS/THALIM)

À la suite de l’apparente unification du monde à l’enseigne des démocraties libérales et de la prise de conscience du dérèglement de notre écosystème humain à l’échelle planétaire, le cosmopolitisme est devenu depuis une trentaine d’années une préoccupation centrale de certaines disciplines. C’est le cas de la philosophie, aussi bien aux États-Unis qu’en Allemagne ou en France, mais aussi de l’histoire, des sciences politiques, de la sociologie, de l’anthropologie ou encore du champ pluridisciplinaire des études culturelles et postcoloniales. Alors même que, dans l’espace de la recherche littéraire anglophone, on trouve aussi des travaux importants, on ne peut que relever le très faible nombre de publications récentes centrées sur cette notion dans l’espace contemporain de la recherche française en littérature. Pour retrouver une présence plus importante, il faut remonter aux années 1960-1970, et c’est le nom de Charles Dédéyan qui s’impose plus particulièrement, dans un champ de recherche comparatiste au sein duquel les travaux d’Étiemble poussaient plus largement à porter le regard au-delà de l’Europe pour envisager (vraiment) le monde entier.

Il a fallu sauf exceptions attendre la fin des années 1990 pour que se développent à l’étranger, mais aussi en France, toute une série de réflexions sur des notions connexes à celle de cosmopolitisme mais non synonymes, comme celles de littérature mondiale (Franco Moretti, David Damrosch, Tiphaine Samoyault, Christophe Pradeau, Jérôme David), de globalisation culturelle (Arjun Appadurai), de tout-monde et de créolisation (Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau), de république mondiale des lettres (Pascale Casanova), de mondialisation littéraire et intellectuelle (Benedict Anderson, Jean Perrot, Emmanuel Fraisse), d’espace culturel transnational (Anna Boschetti), de globalisation éditoriale (Gisèle Sapiro) ou encore de planétarité (Gayatri Spivak). Cet état des lieux nous conduira à faire dialoguer les études littéraires et les différents champs de recherche dans lesquels se sont développées ces réflexions. Nous procèderons ainsi à des mises au point terminologiques pour dégager la spécificité d’une réflexion sur le cosmopolitisme et la pertinence qu’il peut y avoir à se saisir de cette notion aujourd’hui.

Mais l’objet plus spécifique de ce séminaire n’est ni historique ni disciplinaire. Il ne s’agit pas seulement pour nous d’identifier au fil des siècles tel ou tel texte littéraire comme cosmopolite, mais d’activer une manière cosmopolite de lire les textes littéraires qui manifeste une expérience de l’étranger et une mondialité en partage – d’un étranger considéré indissociablement comme un autre et comme partie du même. Dans le sillage de la worldiness (« mondanité ») telle que la définit Edward W. Said, il s’agit ainsi pour nous de lire les textes avec la conscience aiguë que d’autres littératures, d’autres langues, d’autres lieux et d’autres temps sont actifs au cœur même de ce qu’une lecture indigène identifie habituellement comme affirmation ethnique et surtout nationale. L’intérêt de ce séminaire s’inscrit de ce point de vue dans une perspective historiographique et politique. Face à des histoires de la littérature encore essentiellement écrites dans une perspective nationale – c’est-à-dire considérant les œuvres et les auteurs du point de vue de la nation, de sa cohérence, de son unité, voire de son identité –, il s’agit de montrer qu’il est d’autres récits historiques, d’autres modes de lecture possibles et d’autres imaginaires, plus attentifs aux circulations et aux altérités et contribuant ainsi eux-mêmes à la construction d’un monde en commun.

La notion de cosmopolitisme conduit ainsi à sonder les soubassements politiques de nos manières de lire et de nous raconter, au moins pour deux raisons : 1) parce que, depuis plus de cent ans, l’adjectif cosmopolite a souvent été brandi en Europe et ailleurs contre une certaine catégorie d’écrivains et d’intellectuels accusés de trahir ce qui serait leur vraie patrie (écrivains bourgeois prétendument décadents, écrivains juifs, écrivains socialistes et communistes, écrivains modernistes, etc.), 2) parce que, dans le contexte idéologique actuel que marquent certains ouvrages récents, il est urgent d’allumer des contre-feux à la tentation d’un repli national, voire nationaliste, de la culture française sur son prestigieux passé. Emblème patrimonial et objet d’enseignement, la littérature est particulièrement opportune pour opérer ce type de déconstruction indissociablement critique et politique.

Cette manière cosmopolite de lire les textes littéraires nous conduit dans quatre directions...

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