Culture et politique arabes

Jeux de mots : tamarrod et tagarrod Par Yves Gonzalez-Quijano

, par Mohammad Bakri


8 juillet 2013


Pas facile de s’entendre sur ce qui se passe en Egypte ! Surtout quand le vacarme médiatique rend inaudibles les paroles qui n’entrent pas dans le récit dominant ou, pire encore, quand il déforme – par ignorance veut-on croire – des propos qu’il ne se donne pas la peine d’écouter. Alors qu’il est difficile d’imaginer que la plupart des correspondants travaillant en Amérique latine par exemple ignorent totalement la langue utilisée sur le continent qu’ils « couvrent » comme on dit, force est de constater que l’absence d’un minimum de compétences linguistiques de la part de la majorité des commentateurs sur ce qui se passe dans le monde arabe sert surtout à « couvrir » la réalité d’un voile épais tissé de préjugés qui renforcent la success story du moment.

D’une manière générale, personne ou presque ne s’interroge plus sur le sens concret de termes repris au quotidien, du très concret hijab – à dimension variable selon les équivalents qu’on lui prête : voile, voile de tête (sic !), fichu, foulard, tenue islamique, tchador, burqa… – aux notions plus complexes (fatwa, jihad, salafi, etc.) qui, plutôt que d’être citées « en arabe dans le texte » pour faire savant, mériteraient d’être pensées par rapport à leur contexte, sur lequel il n’est pas si difficile de se documenter.

Tandis qu’on glose à n’en plus finir, dans le cas égyptien, sur les subtilités sémantiques de l’expression « coup d’Etat » (controverse sur Wikipedia, voir article dans Slate), on constate une désinvolture assez remarquable par rapport aux mots que se choisissent les « indigènes », y compris quand ils sont au cœur de l’actualité. C’est le cas en particulier de la mobilisation populaire à l’origine, jusqu’à preuve du contraire, de la chute du président Morsi. Un mouvement grassroot (au niveau de la base) comme nous le rappellent les commentateurs anglo-saxons – un qualificatif qui est supposé accorder un label de vertu politique –, une coordination sans leaders (autre notion clé) de citoyens qui « se sont chargés » (verbe transitif souvent employé parce qu’il évite d’avoir à s’interroger sur les modalités de cette délégation d’autorité) de récolter des signatures pour « ôter la confiance » accordée par les urnes au président Morsi et réclamer la tenue d’élections anticipées.

En arabe, ce mouvement s’est choisi un nom : tamarrud (تمرد : tamarod, tamarood et ses variantes, peu importe !) C’est un mot bien connu, un masdar en grammaire arabe, un nom d’action si l’on veut, que les dictionnaires s’accordent à traduire par « rébellion ». Dans les médias non arabophones, ce nom d’action devient celui de personnes (ou parle du mouvement Rebelles), quand il ne se transforme pas en impératif : rebélate reprend ainsi en choeur une bonne partie de la presse hispanophone !

A ceux qui considéreraient qu’il ne s’agit que d’une nuance sans importance, on peut opposer pas mal d’arguments. En premier lieu, il est facile de remarquer que c’est la « traduction » anglaise – choisie par les militants du mouvement – qui est à l’origine de ce glissement sémantique. Le versant anglophone de leur communication utilise en effet systématiquement le mot rebel (et non pas rébellion). La contamination des interprétations par le seul recours à l’anglais (y compris lorsqu’on cite en abondance le terme arabe, dont le sens n’est jamais pris en compte ou presque) est donc aussi évidente que trop fréquente...

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