Magazine Moyen-Orient n°27, Juillet-Septembre 2015 Bilan géostratégique 2015

, par Mohammad Bakri

Tous les trois mois, découvrez dans Magazine Moyen-Orient, les meilleures analyses sur le monde arabo-musulman accompagnées de nombreuses cartes et illustrations.

Par Guillaume Fourmont

L’Arabie saoudite et l’Iran ont gagné. À force de répéter que le Moyen-Orient est divisé selon des critères religieux, surtout entre sunnites (hanbalites wahhabites) et chiites (duodécimains), la prophétie s’est réalisée. Alors que cela est historiquement, géographiquement et démographiquement faux, les deux puissances ont réussi à imposer cette grille de lecture à toute question du monde arabo-islamique, laissant les intérêts géopolitiques régionaux guider toute initiative, faisant oublier des populations en quête de pain et de démocratie. Ce pour quoi finalement elles s’étaient soulevées en 2011. Le mur de la peur est tombé, ne soyons pas pessimistes et ne laissons pas croire au maréchal Abdel Fattah al-Sissi que son mandat de président d’Égypte pourra durer aussi longtemps que celui de Hosni Moubarak (1981-2011), les citoyens sauront redescendre dans la rue.

Toutefois, entre-temps, un monstre est né de cette guerre froide saoudo-iranienne : l’organisation de l’État islamique ou Daech, en arabe, dont les racines étaient pourtant bien visibles depuis le déclenchement de la guerre en Irak en 2003. Considéré aux yeux du monde comme un mouvement terroriste, cet « État », autoproclamé « califat » en juin 2014, n’est plus seulement cela. Il s’est donné une « légalité » en offrant aux habitants des territoires qu’il occupe des services de base alors que les gouvernements légitimes sont en faillite, corrompus et sourds à toute demande populaire. Secouées par la violence, des sociétés comme celles d’Irak et de Syrie souffrent aussi de la destruction de l’économie, du manque de perspectives d’avenir. Daech a réussi un tour de force en un temps record : devenir un acteur légitime en rendant la guerre « attractive et séduisante », sur une base idéologique religieuse (ou supposée) étrangère aux pays où ses combattants l’imposent.

L’organisation de l’État islamique a-t-elle pour autant gagné ? En cet été 2015, elle a remporté la bataille des médias et celle des esprits, à tel point que les grandes puissances, à commencer par les États-Unis, ne savent plus quoi faire, regardant avec apathie comment les patrimoines millénaires de Mésopotamie et du Sham disparaissent sous les bombes ou les coups de massue des djihadistes. Sera-t-elle capable de s’installer dans le temps ? Le doute persiste chez les optimistes, car ses capacités humaines et matérielles ne sont pas sans faille. Par exemple, que se passera-t-il quand Daech voudra faire se marier ses miliciens étrangers avec des jeunes filles de leaders tribaux ? Il n’est pas certain que ces derniers acceptent, surtout s’il s’agit d’individus ignorant les coutumes sociales et religieuses locales. On l’a vu en Afghanistan à la fin de la guerre avec les Soviétiques (1979-1989). Dans ce dernier pays, en revanche, les répliques de ce conflit et de celui de 2001 contre les talibans se font encore sentir. Tout cela pour dire que le « moment Daech » peut durer longtemps. Et plus il durera, plus il s’intégrera – avec sa violence et sa vision rétrograde de la religion – dans les esprits des populations, notamment des jeunes. Une perspective horrifiante.

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