Magazine Moyen-Orient n°26, Avril-Juin 2015 Kurdistan(s). Une nation, des états

, par Mohammad Bakri

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Pour de nombreux analystes, le « moment kurde » est enfin arrivé. Serait-il temps d’accorder à ce peuple un État dans les frontières que lui seul décidera, sans l’intervention de forces étrangères qui, tout au long du XXe siècle, n’ont pas tenu leurs promesses ? Si le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, cher aux Nations unies, vient à l’esprit, il semble ne pas s’appliquer pour le Kurdistan. Depuis des siècles, les frontières se révèlent poreuses entre les différentes parties de cette région divisée principalement entre la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Mais les inimitiés entre Kurdes restent fortes et anciennes. Il suffit de s’intéresser aux relations entre les partis politiques dominants pour le comprendre – en Irak, par exemple, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) sont allés jusqu’à se faire la guerre dans les années 1990. L’unité n’est pas de mise pour l’avenir du peuple kurde. Sur le terrain, chaque grande famille tient à son pré carré, à ses privilèges, à l’image du film My Sweet Pepper Land (2013), de Hiner Saleem, dans lequel une enseignante et un shérif affrontent les « lois ancestrales » des puissants locaux.

Le rêve étatique d’un Kurdistan indépendant est en partie réalisé en Irak, où le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) est souverain de facto. Le clan Massoud Barzani, du nom du président de l’entité depuis 2005 et fils du chef historique Mustafa Barzani (1903-1979), le fait bien comprendre au monde : la région est considérée comme la seule capable d’accueillir une économie et une politique stables à long terme, alors que l’Irak et la Syrie sont en pleine déliquescence. Faut-il pour autant en conclure que toutes les terres kurdes, notamment de Turquie, seront gouvernées depuis Erbil ? Les autorités turques ne l’accepteront jamais, même si des négociations de paix avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) sont en cours et si leur chef, Abdullah Öcalan, appelle à la fin de la rébellion depuis sa prison. Les Kurdes de Turquie inscrivent leur avenir au sein de la république, avec plus d’autonomie, et non dans le rattachement, d’une manière ou d’une autre, à Erbil. Le GKR n’a d’ailleurs jamais eu de vision expansionniste chez ses voisins turcs. En Syrie, si les Kurdes sont politiquement dépendants du PKK, à travers la formation sœur du Parti de l’union démocratique (PYD), ils tentent eux aussi de s’organiser dans les frontières existantes.

Le Moyen-Orient est sans doute entré dans un « moment kurde », les conditions y sont favorables, même si le processus est ancien et issu de longues années de répression et de combat. Les Kurdes présentent des aspirations similaires, mais ne s’exprimant pas dans un espace commun et unique. Si plusieurs entités autonomes kurdes apparaissent, sur le modèle du GRK, quelles seraient les relations entre elles ? Et entre les populations, avec les autres ? De bonnes questions à poser aux dirigeants de partis se définissant comme « nationalistes ».

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