Les Chrétiens d’Orient du IIème au XIIIème siècle

, par Mohammad Bakri


 Première partie


La formation des différentes Églises (IIème – VIIIème siècles)


Les clés du Moyen-Orient


Les clés du Moyen-Orient
Par Florian Besson
Article publié le 27/06/2014


Le Proche-Orient du IIème siècle après Jésus-Christ est déjà densément peuplé, densément urbanisé, et c’est au cœur de ces grandes métropoles, Antioche, Edesse, Jérusalem, que se forment les premières communautés de Chrétiens, ce qu’on appelle en grec eklesia – un terme qui va donner Église. Ces communautés vont bientôt se diviser pour donner naissance à plusieurs Églises qui ne cesseront de s’éloigner, sans jamais cesser de communiquer et d’échanger pour autant.

La foi chrétienne au cœur de processus centrifuges

Les missionnaires qui partent du Proche-Orient vont évangéliser une zone extrêmement vaste, en particulier vers l’Orient : vers 550, il existe un évêché en Inde du sud, une région qui aurait été, selon la tradition, évangélisée par Saint Thomas ; la Chine est atteinte au début du VIIème siècle ; l’Ethiopie avait été convertie dès le IVème siècle. Ces territoires sont souvent très éloignés, et vont ainsi pouvoir très vite affirmer leur autonomie. L’éclatement du christianisme est ainsi d’abord le fait de considérations géopolitiques.

En effet, au Vème siècle, ce monde chrétien est structuré autour de cinq centres, appelés patriarcats : Alexandrie pour l’Egypte, Rome pour l’Occident, Antioche pour l’Orient, Constantinople pour la Grèce et l’Asie Mineure (depuis 395), et Jérusalem qui est considérée de fait comme un patriarcat de par son importance historique. Le patriarche de Rome (le pape) a un poids symbolique très important, en tant que successeur direct de Saint Pierre (c’est ainsi que les papes catholiques se présenteront tout au long du Moyen Age), mais n’a aucune autorité effective sur les autres patriarcats. C’est plutôt le patriarche d’Antioche qui domine. Et les Chrétiens qui vivent en Mésopotamie, sous la tutelle de l’Empire sassanide, sont souvent persécutés par le pouvoir, qui voit volontiers les Chrétiens comme des relais de Rome – encore plus depuis que, en 391, l’empereur romain Théodose a fait du christianisme la religion officielle de l’Empire romain. De plus, dans le climat de conflit perpétuel, entrecoupée de conflits fréquents, la communication entre ces Chrétiens et le patriarcat d’Antioche est loin d’être garantie. C’est sous l’effet conjugué de ces deux facteurs que l’Église apostolique de l’Orient (aussi appelée Église nestorienne, ou encore Église assyrienne [1]) affirme peu à peu son autonomie, soutenue par le pouvoir sassanide qui y voit l’occasion de séparer ces Chrétiens de l’Empire romain. En 424, un synode [2] affirme que l’évêque de Ctésiphon (la capitale de l’Empire sassanide) est le chef de l’Église d’Orient, et donc l’égal des patriarches dont il va d’ailleurs prendre le titre : il sera même appelé le catolicos – patriarche, autrement dit le « patriarche général ». L’Église qu’il dirige affirme ainsi son autocéphalie, c’est-à-dire qu’elle prend son indépendance, une indépendance qui va être consacrée par une rupture théologique quelques années plus tard.

Des divisions surtout théologiques

Car la plupart des ruptures sont le fait de divisions théologiques. Le problème majeur à cette époque est celui de la vraie nature du Christ : le dogme central du christianisme, ce qui fonde son originalité, mais aussi ce qui le rend inacceptable pour les Juifs comme plus tard pour les Musulmans, est en effet l’Incarnation, le fait que Dieu se soit fait homme, incarné dans une chair humaine qui est née et qui est morte sur la Croix. On distingue le plus souvent deux courants de pensée : une école antiochienne qui distingue les deux natures du Christ, et une école dite d’Alexandrie, nourrie de la philosophie platonicienne et de ses branches gnostiques, qui au contraire unit les deux natures. La question christologique va ainsi secouer le Proche-Orient et diviser les opinions.

Un prêtre alexandrin, du nom de Arius (256 – 336), affirme par exemple que le Christ n’est pas l’égal de Dieu le Père : une doctrine condamnée par le concile de Nicée, réuni en 325, qui définit le Credo, c’est-à-dire la profession de foi chrétienne qui est l’épine dorsale de cette nouvelle religion. L’arianisme devient alors une hérésie, mais une hérésie qui a encore de beaux jours devant elle, puisqu’elle séduira notamment en Occident les Wisigoths, les Burgondes, et autres peuples germaniques. Au début du Vème siècle, le patriarche de Constantinople, Nestorius (381 – 451), soutient que le Christ est constitué de deux natures, une part divine et une part humaine : la Vierge Marie n’a pu enfanter que la seconde (elle est donc christokos, mère du Christ, mais pas theotokos, mère de Dieu), et seule la seconde a souffert sur la Croix [3]. Le concile d’Ephèse, en 431, condamne cette opinion, influencée par le théologien Théodore de Mopsueste, mais l’Église d’Orient va l’adopter, d’où son nom d’Église nestorienne. On retrouve le jeu géopolitique : Constantinople soutient Cyrille d’Alexandrie, adversaire du nestorianisme, car l’empire byzantin a besoin du soutien de l’Egypte, grenier à blé de l’Empire.

Un peu plus tard mûrit une nouvelle opinion, en partie contre le nestorianisme : la part divine du Christ aurait absorbé sa part humaine, en sorte qu’il ne lui resterait qu’une seule nature – d’où le nom de monophysisme donné à ce courant de pensée, défendu par exemple par Eutychès, supérieur d’un couvent de Constantinople. Nouveau concile, celui de Chalcédoine en 451, et nouvelle condamnation : le Christ est à la fois Dieu et homme, et il est autant l’un que l’autre (croyance dite unitariste). A nouveau, la définition d’un dogme provoque une division des croyances : le parti monophysite (aussi appelé non-chalcédonien), renforcé par les réflexions de grands théologiens comme Philoxène de Mabboug ou encore Sévère d’Antioche, et soutenu en secret par l’impératrice Théodora, l’épouse de Justinien, se structure en Eglise parallèle. C’est l’Eglise syriaque orthodoxe [4], qu’on appelle aussi l’Eglise jacobite, du nom d’un évêque (Jacques Baradée) qui fit beaucoup pour sa construction à la fin du VIème siècle. A partir de ce moment, il y a deux patriarches d’Antioche. Cette Eglise ne cessera pas d’être persécutée par le pouvoir impérial, et ne pourra vraiment se développer au grand jour qu’après la conquête arabe, qu’elle accueillera pour cette raison avec enthousiasme. Ceux qui restent fidèles au concile de Chalcédoine sont appelés les melkites, de l’arménien malka, roi, car ils sont du parti de l’empereur. Au moment de la conquête arabe, coupés de Constantinople, ils se construiront eux aussi comme une Eglise largement autonome.

Enfin, au VIIème siècle, le patriarche de Constantinople tente de réconcilier les chalcédoniens et les monophysites en admettant que le Christ a bien deux natures distinctes, mais unies par une seule volonté, pleinement divine elle (d’où le nom de monothélisme, « une seule volonté », que l’on donne à ce dogme). Malis cette doctrine est condamnée en 681 et devient à son tour un facteur de divisions, puisque l’Eglise maronite l’adopte.

Lire l’article sur le site Les clés du Moyen-Orient


 deuxième partie


Les Chrétiens d’Orient du VIIème au XIIIème siècle


Les clés du Moyen-Orient


Les clés du Moyen-Orient
Par Florian Besson
Article publié le 01/07/2014


Le Proche-Orient est le berceau de naissance du christianisme : il a accueilli la prédication du Christ, a vu se fonder les premières Églises, a abrité les premiers conciles (Nicée en 325, Chalcédoine en 451, Ephèse en 431). C’est sur le chemin de Damas que Paul se convertit, c’est à Antioche que les disciples du Christ auraient pour la première fois été appelé « chrétiens » (Actes des Apôtres, XI, 19 – 25). C’est de cette région que les missionnaires sont partis évangéliser le monde. Mais c’est là aussi que le christianisme originel éclate en une multitude de dogmes et bientôt d’Eglises indépendantes, à la fois du fait des circonstances géopolitiques et en raison de querelles théologiques sur la vraie nature du Christ. Le Proche-Orient devient une mosaïque religieuse très complexe. C’est ainsi qu’apparaissent les « Chrétiens d’Orient » : des chrétiens qui appartiennent à plusieurs Églises, indépendantes de fait sinon toujours de droit, organisées la plupart du temps autour d’un patriarche, séparées par des points doctrinaux, mais partageant suffisamment de points communs pour se reconnaître, notamment lors des périodes de crises, une identité partagée (c’est la communitas christianorum).

C’est le cas avec l’apparition d’un nouvel acteur religieux, l’islam, et bientôt géopolitique, l’Islam On distingue l’islam, la religion musulmane, et l’Islam, l’empire fondé sur elle.. Lorsque la région bascule sous l’autorité islamique, les Chrétiens sont partout majoritaires, même si ces régions accueillent aussi d’importantes minorités juives. La vie des Chrétiens d’Orient va donc s’organiser sous la domination musulmane, jusqu’à ce que les croisades, au XIIème siècle, perturbent profondément la donne. Néanmoins, les Chrétiens d’Orient n’ont pas été uniquement des vaincus ou des victimes, ni des acteurs passifs de l’histoire : ils ont fait le choix de collaborer avec le pouvoir, et souvent ont pu ainsi l’investir.

Vivre sous le croissant

La conquête arabe (631 – 632), paradoxalement, ne modifie pas forcément beaucoup les conditions de vie des Chrétiens d’Orient. Les nestoriens de Mésopotamie étaient habitués à vivre sous la domination d’un pouvoir non chrétien : l’empire de l’Islam remplace l’Empire perse, tout simplement. Les différentes Églises du Proche-Orient accueillent généralement assez bien le nouveau pouvoir, qui leur permet de continuer à pratiquer leur foi. Les maronites et les jacobites sont même plus libres que sous le pouvoir byzantin, puisque les nouveaux maîtres sont indifférents aux obscures querelles théologiques et liturgiques. En Egypte, les Coptes accueillent presque avec soulagement l’arrivée du nouveau pouvoir, qui les libère d’un pouvoir byzantin oppressant : pour la première fois depuis une génération, le patriarche d’Antioche peut voyager dans le pays et visiter les monastères. Les différents monastères se rallient volontiers aux conquérants et obtiennent en récompense un taux de kharâdj (l’impôt foncier) très faible. Au contraire, les auteurs melkites, fidèles à Byzance et donc privilégiés sous l’ancien régime, sont généralement les plus opposés au nouveau régime, tout comme les Arméniens, qui perdent leur autonomie, l’évêque Sébéôs allant jusqu’à comparer l’islam à la « quatrième bête de l’Apocalypse ». Mais c’est là une attitude isolée.

Il faut dire que les conquérants musulmans n’engagent pas de politique d’islamisation forcée, et ne persécutent pas les Chrétiens. Ceux-ci, tout comme les Juifs et les zoroastriens [1], sont reconnus comme des Gens du Livre (Ahl al-kitâb), et se voient offrir un statut spécial, la dhimma (protection). On parle aussi de Pacte d’Omar, en référence au deuxième calife qui en aurait fixé les termes : en vérité, ces obligations réciproques n’ont cessé d’évoluer, dans un système souple. Le pouvoir s’engage à protéger les dhimmis, à respecter leurs droits religieux, mais aussi judiciaires, et à reconnaître leurs chefs. Ainsi, lorsque la nouvelle dynastie abbasside s’installe à Bagdad au milieu du VIIIème siècle, le chef de l’Église nestorienne (le catolicos-patriarche) devient un interlocuteur du calife et un personnage important de la cour. Au XIème siècle, le patriarche d’Antioche, pour se rapprocher du pouvoir, s’installe au Caire, la nouvelle capitale fondée par les musulmans. C’est dans la dhimma qu’il faut chercher la clé de la « tolérance » souvent invoquée pour parler du statut des Chrétiens et des Juifs en terre d’islam. Il s’agit en fait d’une coexistence soigneusement réglée. Mais évidemment, cette protection ne va pas sans rien : la contrepartie de la dhimma est la capitation (la djizya), un impôt qui pèse lourdement sur les chrétiens. Tellement lourdement que les conversions à l’islam vont se multiplier, au point que les Fatimides, au XIème siècle, devront les interdire pour ne pas perdre de précieuses ressources fiscales.

Enfin, au VIIème siècle, le patriarche de Constantinople tente de réconcilier les chalcédoniens et les monophysites en admettant que le Christ a bien deux natures distinctes, mais unies par une seule volonté, pleinement divine elle (d’où le nom de monothélisme, « une seule volonté », que l’on donne à ce dogme). Malis cette doctrine est condamnée en 681 et devient à son tour un facteur de divisions, puisque l’Eglise maronite l’adopte.

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 Florian Besson


Florian Besson est agrégé d’histoire, élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, les recherches doctorales de Florian Besson portent sur la construction de la féodalité en Orient Latin, après un master sur les croisades.


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