1 décembre 2014
O. B.
Profession : reporter en sursis
Le troisième roman que vient de sortir aux éditions Barkat notre ancien confrère Abdelkader Hamouche — ex-journaliste à l’hebdomadaire Algérie Actualités et à L’hebdo-Libéré ; tous deux disparus du paysage médiatique — est un véritable plaidoyer contre l’oubli de la décennie noire et ses conséquences sur la paix civile en Algérie.
Témoin privilégié de cette période sombre de l’Algérie de par sa profession de journaliste de terrain, l’auteur nous invite avec le souci du détail dans son ouvrage La Décision à un effort mémoriel sur la descente aux enfers dans laquelle a été précipité le pays par la faute d’un projet de société intégriste qu’on avait voulu imposer aux Algériens avec la lame et terreur.
L’intérêt de ce nouveau roman de Abdelkader Hamouche réside dans le fait que l’auteur a fait l’effort intellectuel par rapport aux essais déjà publiés sur la même thématique de ne pas verser dans la facilité de l’écriture événementielle. C’est un roman autobiographique chargé d’émotions qu’il nous livre avec un courage et une dignité jamais prise en défaut même lorsque celle-ci en prend un sérieux coup quand traqué, menacé lui et sa famille dans leur vie, poussé à l’exil, le journaliste est confronté à des situations existentielles extrêmes.
Les journalistes algériens, et à travers eux leurs familles qui ont vécu ces années noires où la mort rodait autour d’eux à chaque instant, se retrouveront dans le roman témoignage de notre ex-confrère qui restitue les angoisses, les peurs, la vigilance pour échapper aux balles assassines, les rêves brisés, les incertitudes des lendemains qui habitaient la grand famille de la presse. Son arrêt sur image il le dédiera à deux grandes figures de la corporation lâchement assassinés par les terroristes : les regrettés Tahar Djaout, écrivain-journaliste et Saïd
Mekbel, le chroniqueur du Matin dont il utilisera des noms d’emprunt par choix éditorial de ce nouveau dont il prévient dans le préambule qu’il est le fruit de l’imagination.
Les noms des personnes et des lieux sont imaginaires, mais les faits restent authentiques et aisément identifiables pour les journalistes qui ont vécu ces événements tragiques. Il nous replonge dans l’ambiance mortuaire de l’époque avec ses images insoutenables et inoubliables que les amis de Tahar qui se sont déplacés à l’hôpital de Baïnem où il avait été admis à la suite de l’attentat dont il avait été victime, priant à travers la vitre de la salle de réanimation pour leurs confrères luttant contre la mort.
L’auteur nous restitue également avec une fraîcheur mémorielle qui ne souffre aucune altération les angoisses quotidiennes des journalistes réduits, impuissants, à tenir la comptabilité macabre de leurs confrères lâchement assassinés par les terroristes, à vivre cachés, fuyant leur quartier, changeant quotidiennement de planque, astreint à une vigilance accrue partout : sur le chemin du travail, durant les sorties sur le terrain pour se préserver… Mais il y a une limite humaine objective à ce combat professionnel et pour la survie, à la résistance.
Beaucoup de journalistes et assimilés ont fait le choix de l’exil D’autres sont restés, en dépit des assassinats et de la peur. Abdelkader Hamouche ouvre pour la première fois ce débat sur les confrères qui ont quitté le pays durant la décennie noire pour s’installer à l’étranger en parlant de sa propre expérience.
On sent chez l’auteur comme un besoin de s’expliquer sur sa « décision » (c’est le titre de son roman) de s’exiler en France, la mort dans l’âme après avoir longtemps hésité à franchir le pas pour des raisons éthiques, professionnelles et politiques. Il avait toujours considéré le fait de partir comme une « trahison », selon son propos, avant de se retrouver au consulat de France pour un visa à la suite d’un attentat auquel il avait échappé en compagnie du chauffeur du journal.
La partie du roman consacrée aux conditions difficiles de son « installation » à l’étranger est à la fois épique et chargée d’angoisse. Il fallait galérer et mettre entre parenthèses son statut de journaliste, sa dignité et sa fierté pour décrocher un hypothétique titre de séjour, se réveillant à l’aube pour faire la queue devant les locaux de l’OFPRA (Office français pour les réfugiés et apatrides), pour dénicher un travail, pas forcément en rapport avec son métier, ou tout simplement pour trouver une main tendue pour manger et dormir en attendant des jours meilleurs. La décision est le troisième roman de Abdelkader Hammouche après L’affaire Makoula et Les voleurs de liberté parus aux mêmes éditions Barkat.
Sur le site du journal algérien El Watan
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