Contes populaires du Liban Actes Sud - Octobre 2019

, par Mohammad Bakri


Editeur


Auteur(s) : Najla Jraissaty Khoury
Titre : Contes populaires du Liban
Editeur : Actes Sud
Traduit de l’arabe (Liban) par : Georgia MAKHLOUF
Collection : Sindbad, La Bibliothèque arabe
Parution : Octobre 2019 / 13,5 x 21,5 / 256 pages
ISBN 978-2-330-12172-3


Actes Sud


“Il était une fois, ou peut-être pas…”
Pendant de longues années, Najla Jraissaty Khoury a sillonné le Liban afin de constituer le corpus le plus exhaustif possible de contes populaires dans leurs différentes versions, rurales et urbaines. Elle les a fidèlement consignés tels qu’elle les avait entendus de la bouche des conteurs qui, eux-mêmes, tenaient à les lui rapporter à la façon de leurs parents ou grands-parents. Ce livre en compte trente, uniquement des histoires racontées par des femmes à l’adresse d’autres femmes, et où le beau rôle revient le plus souvent à des personnages du même sexe. Les héroïnes les vengent en quelque sorte en parvenant à résister à l’oppression des hommes avec beaucoup d’intelligence et de patience. En lisant ces contes, on constate d’emblée leur enracinement dans une tradition proprement arabe de l’étrange et du merveilleux, mais aussi la parenté thématique de certains d’entre eux avec le patrimoine d’autres peuples. La traduction de Georgia Makhlouf restitue toute la saveur du texte original, empreinte de poésie et d’humour.

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L’Orient-Le Jour


13/12/2019
L’Orient-Le Jour
Lisa SALESSES | OLJ
Culture


Il était une fois ou peut-être pas...


Najla Jraissaty Khoury a sillonné le Liban afin de constituer le corpus le plus exhaustif possible de contes populaires dans leurs différentes versions, rurales et urbaines.

« Kén yā mā kén » – (il était une fois ou peut-être pas). Ainsi s’ouvrent la plupart des contes libanais, et orientaux plus généralement. Le conte, cette histoire ou légende qui éduque et distrait, est la matière première de Najla Jraissaty Khoury. Ayant recueilli ces histoires brutes, de la bouche de conteurs disséminés aux quatre coins du Liban, elle en a sélectionné trente parmi les « les plus beaux, complets et authentiques », selon ses propres mots, pour les coucher sur le papier et façonner le recueil Contes populaires du Liban : Perles en Branches, paru en octobre 2019 chez Sindbad Actes Sud, traduit de l’arabe par Georgia Makhlouf. « Les 30 histoires reproduites ici sont uniquement des histoires racontées par des femmes à l’adresse d’autres femmes, et où le beau rôle revient le plus souvent à des personnages du même sexe », précise l’auteure. Les héroïnes y résistent à l’oppression des hommes avec beaucoup d’intelligence et de patience.

Le lien qui unit Jraissaty Khoury au conte est une histoire ancienne. Durant les années de guerre au Liban, elle a monté une troupe de théâtre de marionnettes itinérante intitulée Sandouq el-Ferjeh – La Boîte à images – qui a sillonné le pays. Afin de renouveler son stock d’histoires, elle a entamé une collecte de contes partout où elle se trouvait. « On était vingt-cinq personnes dans la troupe », raconte-t-elle, « on faisait du théâtre d’ombre, on mettait les histoires en chanson ». Si sa troupe se dissout après vingt années de spectacles, Jraissaty Khoury poursuit sa collecte. Avec recul, elle constate : « J’ai remarqué que tous les contes étaient apparentés, il y a un héritage culturel de l’humanité, comme si elle avait éclaté oralement. » « Pour recueillir ces contes, j’ai été dans des milieux pauvres, analphabètes, qui sont les plus intéressants », confie-t-elle. L’auteure évoque l’authenticité des conteurs, qui, ne sachant lire, ne puisent leurs histoires que dans leur héritage familial ou leur imagination.

Son travail de collecte, démarche plutôt rare au Moyen-Orient, lui a permis de se constituer un vaste répertoire. C’est pour partager ce trésor qu’elle décide d’en constituer un recueil : « Ces contes ne m’appartiennent pas, je dois les publier, les partager. ». C’est ainsi que ces histoires, avant tout orales, modulables, mêlant le récit aux gestes et inflexions de la voix, se retrouvent sur le papier, magnifiées, et figées à jamais dans leur époque. Dans le souci de rester le plus fidèle aux récits qu’elle a entendu, elle souligne : « Les phrases qui sont rimées je les ai gardées telles quelles. » Cependant, les passages lui paraissant parfois trop barbares ont été supprimés.

Patte blanche ou queue lisse ?

Le premier recueil en langue arabe, paru en 2014, regroupait cent contes. Celui-ci, sous-titré Perles en Branches d’après le titre de l’un des contes, a été traduit de l’arabe en français par Georgia Makhlouf. Il est né d’une nouvelle sélection, visant cette fois un auditoire plus âgé et essentiellement féminin. Car oui, les contes pour les femmes et racontés par les femmes, existent. En effet, « au siècle dernier, les hommes se retrouvaient à fumer le narguilé dans des cafés », raconte Najla Jraissaty Khoury, et le hakawati, conteur professionnel, venait partager des légendes célèbres comme celle d’Antar et Abla. Pendant ce temps, les femmes restées entre elles se racontaient des histoires après avoir couché les enfants. Puisque la journée, elles étaient assignées à la tenue de la maison, le soir venu, elles devenaient héroïnes de leurs histoires, dans lesquelles elles étaient maîtresses de leur maris : « Elles se projetaient dans ce qu’elles racontaient. » Finalement, pour NJK, « partout dans le monde, les femmes sont plus conteuses » et elle poursuit avec des yeux rieurs : « Si l’on cherche bien, les contes sont féministes. Les pères sont absents. »

Bien que le conte « purement libanais n’existe pas » selon l’auteure, dans le sens où les contes du monde entier sont très similaires, des éléments leur sont tout de même propres : le puits pour passer dans un autre monde, la grotte comme abri protecteur, l’ogre et l’ogresse souvent frères ou mères de substitution, les djinns, le magicien – et non pas la sorcière –... Évidemment, les histoires se sont adaptées aux réalités locales, qu’elles soient géographiques ou sociologiques. À titre d’exemple, dans le célèbre Le loup et les sept chevreaux, la version française emploie l’expression « montrer patte blanche » lorsque le loup se présente à la porte, seulement puisque les chèvres libanaises sont noires, le conte libanais dit « montre ta queue lisse ».

Persuadée par le rôle majeur des contes dans le développement de l’imaginaire, et comme échappatoire de la vie quotidienne, Najla Jraissaty Khoury, une moue se dessinant sur le visage, déplore : « Aujourd’hui, les enfants, ça ne les intéresse plus, ce n’est plus en relation avec leur vie. » Elle explique que la démocratisation de la télévision a participé à un désintérêt de plus en plus généralisé pour les histoires et les contes, et que puisque « Disney a figé l’image des contes, ça donne une image unilatérale ».

Cependant, une nouvelle génération de conteurs est née, et comme elle le décrit si bien : « C’est comme les vieilleries, ils sont devenus à la mode. » Ces derniers, dont les libanais Jihad Darwiche, Sara Kasir, Khaled el-Naanaa, théâtralisent les contes. Ils les interprètent afin de faire perdurer cette tradition orale, fondamentale la transmission culturelle voire identitaire. Elle souligne « je crois que le conteur a un rôle majeur, on peut raconter une recette de cuisine et intéresser les enfants ».

D’un ton résolu, Najla Jraissaty Khoury conclut finalement par ces mots rassurants : « Je crois que ces contes ne vont pas mourir. »

Carte de visite

Najla Jraissaty Khoury est née à Beyrouth. Parallèlement à des activités d’enseignement, elle a fondé et dirigé, pendant la guerre du Liban, la troupe théâtrale Sandouq el-Ferjeh (La Boîte à images), dédiée au répertoire populaire des contes, des marionnettes et du théâtre d’ombres. Depuis 1997, elle collabore avec l’ONG Assabil, dédiée à la création de bibliothèques publiques dans tout le Liban.

Lire l’article sur le site du quotidien libanais L’Orient-Le Jour

L’Orient-Le Jour est le seul quotidien libanais d’expression française, né le 15 juin 1971 de la fusion de deux journaux, L’Orient (fondé à Beyrouth en 1924) et Le Jour (fondé à Beyrouth en 1934)... Lire la suite, cliquer ici.

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