La Sicile islamique

, par Mohammad Bakri


Les clés du Moyen-Orient


Les clés du Moyen-Orient
Par Nicolas Hautemanière
Article publié le 13/10/2014


Si l’appartenance de la Sicile à l’Occident peut aujourd’hui sembler aller de soi, elle n’en a pas moins constitué de 831 à 1071 un des hauts lieux de développement de la culture musulmane. Loin des préoccupations politiques de l’Europe, elle fut alors l’objet d’une lutte d’influence entre le califat abbasside de Bagdad, l’Empire byzantin et les Fatimides d’Egypte. Les réformes engagées par ces derniers furent à l’origine d’une civilisation urbaine nouvelle dynamisant les échanges dans l’ensemble du monde méditerranéen.

Une lente conquête. La Sicile islamique sous domination abbasside et fatimide (826-962)

L’intégration de la Sicile dans la sphère d’influence du califat abbasside de Bagdad ne se fit pas en un jour mais est le fruit d’un conflit de longue durée ayant opposé la jeune puissance musulmane à l’Empire byzantin pour l’hégémonie en Méditerranée. Par sa centralité, la Sicile constituait une base navale permettant le contrôle des flux commerciaux entre les rives Est et Ouest de cet espace maritime. Après les premières incursions musulmanes en Sicile sous le califat d’Uthman (644-656) et de ses successeurs, un fragile équilibre s’était instauré, permettant à la puissance byzantine de garder le contrôle de l’île. Cet équilibre fut brisé en 826 lorsqu’Euphemius, commandant de la flotte de Byzance, décida de se rebeller contre l’empereur Michel II en appelant à l’aide l’émir Ziâdat-Allâh, membre de la dynastie aghlabide gouvernant la province d’Ifriqiya au nom du calife de Bagdad. Un tel retournement étonna les responsables politiques musulmans, qui s’étaient jusque là engagés dans une politique de stabilisation des frontières en Méditerranée. Après consultation des juristes de l’émirat, Ziâdat-Allâh décida néanmoins de ne pas laisser passer l’occasion et fit proclamer le jihâd. Une flotte aghlabide fut envoyée en Sicile. La conquête de l’île pouvait alors commencer.

De la prise de Palerme en 831 à la conquête de Taormine, à l’Est de l’île, en 902, il fallut pourtant plus de soixante-dix ans aux émirs aghlabides pour intégrer ce territoire à leur domaine d’influence. En cause, la résistance des Grecs, mais aussi les violents conflits internes aux troupes conquérantes. Les soldats envoyés appartenaient en effet à des tribus concurrentes, d’origine arabe ou berbère, que les émirs aghlabides peinaient à pacifier. Les grands historiens arabes que ce sont Ibn Al-Athir et Ibn Idhâri, par lesquels ces événements nous sont connus, parlent à plusieurs reprises de « fitna », c’est-à-dire de grande discorde amenant à une division infrangible de la société musulmane, notamment à l’occasion d’une guerre entre les cités de Palerme et d’Agrigente en 899.

La Sicile connut de nouvelles agitations avec l’arrivée au pouvoir des Fatimides en Egypte. Cette nouvelle dynastie, chiite, renversa l’émirat aghlabide d’Ifriqiya en 909 et entendait ne plus prêter allégeance au calife abbasside de Bagdad. Les responsables politiques Siciliens hésitèrent à s’aligner et ne se rangèrent sous l’autorité du nouveau calife fatimide qu’après une nouvelle guerre civile, qui prit fin en 917. Malgré ces secousses initiales, la conquête fatimide de la Sicile fut l’occasion d’un profond renouveau pour l’île. Les nouveaux dirigeants entendaient en faire un véritable laboratoire urbain, qui servirait de modèle à l’ensemble de l’Etat fatimide. Ils firent ainsi construire un quartier entièrement neuf à Palerme, la Khâlisa, qui fit office de prototype pour la fondation de la nouvelle capitale d’Ifriqiya en 969 : le Caire.

L’âge classique de la Sicile islamique : la période kalbite (962-1071)

A partir de 947, la dynastie des Kalbites se vit remettre les rênes de la Sicile islamique, pour la gouverner au nom du calife fatimide et y poursuivre les efforts amorcés par celui-ci. Sous le règne de ces nouveaux émirs, toujours fidèle au calife du Caire, la Sicile connut une stabilité politique qui permit l’essor d’une civilisation urbaine nouvelle.

Sur décision du calife Mu’izz, les Kalbites mirent ainsi en œuvre une politique d’incastellamento, c’est-à-dire de regroupement de l’habitat dispersé des campagnes en de petits villages (madinâ), construits autour d’une mosquée. En parallèle, une immigration alimentée par les crises frumentaires que connut l’Afrique du Nord au début du XIe siècle contribua à faire croître la population insulaire et à dynamiser son économie. De nouvelles cultures originaires de l’ensemble de l’espace musulman firent ainsi leur apparition en Sicile : mûriers à ver à soi, indigo, henné, coton, pistaches et papyrus sont adoptés par la paysannerie locale. La culture et le pressage de la canne à sucre furent pour la première fois importés sur la côte nord de la Méditerranée. La céréaliculture, héritée de l’époque romaine, restait également une activité d’importance capitale. De nouveaux systèmes d’irrigation, basés sur le stockage de l’eau en citerne et l’utilisation du siphon, sont également importés de l’espace moyen-oriental.

Cette économie rurale diversifiée et florissante trouvait son débouché naturel dans les ports de Mazara et de Palerme, au Nord-Est de la Sicile. Les récits de voyages (notamment celui du persan Nâsir-i Khosraw) et documents notariés contemporains attestent de la présence de navires palermitains dans les ports d’Alexandrie, de Mahdiyya (actuelle Tunisie), de Tripoli et d’Amalfi (en Campanie) des années 1030 à 1050. Palerme, la « Ville de Sicile » (madîna Siqilliya), est alors l’une des plus grandes métropoles de l’espace méditerranéen et concentre en son sein 300 000 habitants. Des édifices typiques de la culture urbaine arabe s’y développent : à la fin du Xe siècle, le voyageur Ibn Hawql dénombre plus de 300 mosquées dans la ville et fait état de la présence de nombreux bains, sur le modèle de ceux que l’on peut aujourd’hui encore observer à Céfalù, à l’est de Palerme.

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