La Shu‘ubiya en Iran : la résistance à l’arabisation au Moyen Âge

, par Mohammad Bakri


Les clés du Moyen-Orient
Tatiana Pignon
Article publié le 20/02/2014


Le terme de « Shu‘ubiya » dérive directement du mot arabe signifiant « peuples » ou « nations », « shu‘ub ». Il désigne le mouvement de résistance à l’arabisation qui exista au Moyen Âge en Iran et en al-Andalûs : dans les faits, cette résistance s’est surtout concentrée sur le champ culturel – en Iran, elle a eu pour conséquence de faire perdurer la langue persane et de maintenir des références culturelles propres, notamment héritées de l’ère des grands Sassanides. Elle est une réaction des peuples non-arabes à l’arabisation généralisée du Moyen-Orient qui, sous l’influence du pouvoir califal, se met en place depuis les tout premiers temps de l’islam. La Shu‘ubiya joue donc un rôle déterminant dans la construction de l’identité iranienne, et connaîtra une postérité importante avec la « Néo-Shu‘ubiya », concept forgé dans les années 1960 pour désigner toutes les formes de nationalismes qui se présentent comme des alternatives au panarabisme.

Les origines de la Shu‘ubiya : l’arabisation du Moyen-Orient depuis les débuts de l’islam

Les conquêtes musulmanes, aux VIIe et VIIIe siècle, ont abouti à la formation d’un vaste Empire de l’Islam, sous l’autorité du calife umayyade, puis abbasside à partir de 750. Dès la mort du Prophète Mahomet, en 632, les chefs de l’Umma avaient développé une théorie du califat qui donnait la prééminence aux Arabes, et plus particulièrement aux Arabes qurayshites, ceux qui appartenaient à la même tribu que le Prophète lui-même ; avec les conquêtes, notamment de territoires non arabes qui s’islamisent au contact de leurs vainqueurs – comme la Perse –, cette théorie de la supériorité arabe se renforce. Les arguments sont multiples : le Prophète choisi par Dieu était arabe, le Coran est écrit en arabe, le lieu de naissance de l’islam est l’Arabie. À l’époque abbasside, à partir du VIIIe siècle, l’expansion territoriale fait place à une expansion culturelle et religieuse : les symboles du califat, notamment, se diffusent de plus en plus afin de renforcer l’unité de l’Empire islamique. Parmi eux, la monnaie et la langue sont les plus importants. C’est ainsi que l’ensemble du Moyen-Orient, région où se côtoient des langues et des cultures très diverses, s’arabise peu à peu : en plus d’être la langue de l’islam, l’arabe devient la langue de l’administration et de l’armée, et s’affirme peu à peu comme principale langue vernaculaire.

Cette arabisation ne peut se faire qu’au détriment des langues dialectales et des systèmes culturels déjà existants dans les pays conquis. Si, la plupart du temps, elle a lieu de manière progressive et sans rencontrer de problèmes majeurs, l’arabisation des territoires islamiques se heurte en Perse à une civilisation construite, ancienne, indépendante et non-arabe, qui adopte l’islam sans grande difficulté mais va réagir violemment à la domination arabe. C’est la raison d’être de la Shu‘ubiya, ce mouvement de résistance à l’arabisation qui vise à préserver la culture iranienne préexistante. Du point de vue théorique, ce mouvement de résistance s’accompagne d’une contestation de la supériorité arabe en islam [1] et se fonde notamment sur un verset célèbre du Coran qui dit que l’humanité a été partagée en peuples (« shu‘ub ») et en tribus (« qabâ’il ») : le terme de « tribus » est compris comme faisant référence aux tribus arabes, tandis que le mot de « peuple » désignerait les populations non-arabes, les « ’ajamî », ceux qui ne parlent pas l’arabe. Cette distinction est à l’origine du terme « Shu‘ubiya », le mouvement des peuples non-arabes contre la domination arabe.

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