L’image de la femme dans la peinture orientaliste

, par Mohammad Bakri


Les clés du Moyen-Orient


Les clés du Moyen-Orient
Par Anaïs Mit
Article publié le 3/04/2014


Au XIXe siècle, l’Orient devient une question politique centrale pour les pays occidentaux, et cet attrait va se retrouver dans un mouvement artistique, tant littéraire que pictural : l’orientalisme.
Bien que le mot orientalisme ne fut attesté qu’en 1826 et enregistré dans le dictionnaire de l’Académie Française en 1932, le courant pictural qui le caractérise n’est pas une invention idéologique du XIXe siècle. La curiosité pour le Levant prend source avec les Croisades et préoccupe l’Europe puis l’Occident tout entier pendant cinq siècles, pour se tarir avec la décolonisation dans les années 1960. L’imaginaire de l’Orient s’articule autour d’un ensemble de représentations collectives créé et véhiculé par la pensée occidentale dans sa quête d’elle-même. Il se nourrit de son antithèse mythique qui procède du mythe de la fracture Orient-Occident : recherche de ses origines, recherche d’une image antinomique, quête d’une identité collective, l’orientalisme s’articule autour d’un imaginaire collectif créé de toutes pièces par l’Europe triomphante. Ici, mythes et réalités s’entrecroisent, se recoupent et se contredisent. Mais l’essentiel réside dans des représentations collectives intégrées et reproduites par les peintres. Cet imaginaire de l’Orient fonde alors des comportements, des réflexions, des analyses et des images récurrentes. Qu’en est-il dès lors de la perception et de la représentation des femmes dans ce mouvement pictural ?

L’idée fantasmée du harem

De tous les thèmes de la peinture orientaliste, celui des femmes dans leurs appartements a été assurément le plus populaire. Comme les harems étaient précisément le lieu interdit aux hommes, et qui plus est aux hommes étrangers, les artistes peintres ont donné libre cours à leur imagination pour dépeindre ce lieu plein de secrets. De fait, le harem est sans doute l’institution orientale la plus connue et controversée, et sa signification sociale reste encore aujourd’hui largement incomprise. Le mot, tiré de l’arabe « haram » signifie « ce qui est interdit par la loi ». Considéré sous un angle profane, le mot fait référence à une partie de la maison orientale occupée par les femmes et qui constitue pour elles un véritable sanctuaire social. Edmond de Amico, accueilli dans une maison marocaine nous dit du harem, en 1875 : « on entendait les pas et la voix des gens cachés. Tout autour et au-dessus de nous s’agitait une vie invisible, qui nous avertissait que nous étions bien dans les murs, mais en réalité hors de la maison ; que la beauté et l’âme de la famille s’étaient réfugiées dans ses profondeurs impénétrables, et que le spectacle, c’était nous, et que la maison restait un mystère ». La façon des peintres orientalistes de traiter de ce thème doit être envisagée sous deux angles : d’un côté, le fantasme voluptueux d’une vie cachée, d’autre part, la vie domestique à l’européenne transposée et appliquée au monde oriental. Or, dès 1878, C.B Klunzinger faisait la remarque à propos des femmes orientales, que « contrairement à ce que les habituelles descriptions de la vie de harem nous portent à croire, elles ne passent pas leur vie allongées sur un divan […], parées d’or et de pierres précieuses, fumant et appuyant sur des coussins qui s’affaissent ces bras rendus si potelés par l’indolence, tandis que les eunuques et les esclaves se tiennent devant elles, impatients de leur épargner le moindre mouvement ». Voilà pourtant l’exacte manière dont les peintres orientalistes se représentent et donnent à montrer le harem et ses occupantes. Nombreuses peintures traitant du harem, à l’image du tableau d’Eugène Girard, Intérieur de harem égyptien, montrent des femmes se prélassant sur des coussins, discutant, rêvant, paressant…
Or cette oisiveté démesurée évoque de façon frappante le mode de vie des femmes de la haute société occidentale à la même époque. De fait, en peignant les traits d’une société éloignée, c’est en fait les vices de leurs propres sociétés que les peintres orientalistes tendent à dénoncer. Un autre aspect de ces peintures de harem paraît intéressant : les femmes du harem sont parfois montrées silencieuses, dans un silence contemplatif, comme oppressées par une vie cloîtrée. Silencieuses, sûrement pas. A l’écoute ? Cela va sans dire. Peu de femmes savaient lire ou écrire. Cependant, dans certains harems, les femmes écoutaient des diseuses de bonne aventure [Jan-Baptiste Huysmans, La Diseuse de bonne aventure, huile sur toile, 1875, 50 x 73,5. Collection particulière.], étudiaient les langues étrangères mais avaient également accès à des bibliothèques très riches et diverses. Ce silence apparent n’est en réalité que le fait d’une éducation interne au harem. Par ailleurs, nombreux sont les Occidentaux qui, par le biais de ces peintures à la vision faussée, imaginaient que les femmes ne pouvaient vivre que retirées dans leurs appartements, sans aucune autre alternative. Or, il est à noter que les « moucharabiehs » (grillages dans les belvédères des maisons) leur permettaient de voir la vie extérieure.

Lieu de vie, d’éducation, d’ostentation et de spiritualité, le harem inspire les peintres orientalistes qui le fantasment. En est-il de même pour un autre haut lieu pour les femmes orientales : le hammam ?

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