Entretien avec Julie d’Andurain - Les 100 ans des accords Sykes-Picot (mai 1916-mai 2016)

, par Mohammad Bakri


Les clés du Moyen-Orient


Les clés du Moyen-Orient
Article publié le 21/04/2016


Julie d’Andurain, agrégée et docteur en histoire, est chargée de cours en histoire du monde arabe à Paris-Sorbonne/ Centre Roland-Mousnier (UMR 8596 du CNRS), et est directrice des Études du bureau Recherche du CDEF/DREX (Ecole Militaire).

Qui étaient François Georges-Picot et Mark Sykes, les signataires des accords ?

La famille de François Georges-Picot s’appelle Picot avant de devenir la famille Georges-Picot, du nom du fondateur de la dynastie. La famille est très proche du « parti colonial », sur lequel je reviendrai, mais également du ministère des Affaires étrangères, et est donc pour partie liée au monde du commerce, et pour partie à la diplomatie. Cela explique que François Georges-Picot (1870-1951), décide à un moment de faire carrière dans le monde des ambassades. A la suite de son poste à Rio de Janeiro, il est ainsi affecté en Syrie le 31 janvier 1914, en charge du consulat général de Beyrouth. Ce poste marque ainsi sa première découverte de la Syrie. Il est détaché au Caire en novembre au début du conflit, et il commence alors à s’intéresser à l’ensemble de la zone. Il est nécessaire de rappeler que les décisions qui sont prises par François Georges-Picot pendant la guerre sont signées par lui, mais ne sont pas dirigées ni pensées par lui, mais par d’autres individus. François Georges-Picot joue cependant un rôle, que l’on connaîtra par la suite par les critiques que feront ses successeurs, notamment Robert de Caix, adjoint civil du général Gouraud après 1920. Celui-ci considère par exemple que François Georges-Picot était trop arabophile, et que certains éléments de cette arabophilie sont visibles dans les accords Sykes-Picot.

En réalité, il est intéressant de remarquer que la rencontre entre François Georges-Picot et Mark Sykes, est celle de deux hommes, dont l’un est considéré comme trop arabophile pour les Français, et l’autre francophile. Mark Sykes était sans doute l’un des seuls Britanniques du Foreign Office et du lobby colonial britannique à pouvoir s’entendre, à cette date, avec les Français.

Ces accords sont donc la marque d’un lien entre les Français et les Britanniques sur une zone sur laquelle il n’était pas évident qu’ils puissent s’entendre, les deux pays étant en réalité en situation de très grande rivalité.

Quant à Mark Sykes (1879-1919), il est le fils d’un lord britannique baptisé selon le rite catholique à l’âge de 3 ans. Grand voyageur, il est un spécialiste du monde oriental, beaucoup plus que ne l’est François Georges-Picot. Il est un très bon connaisseur des problématiques locales, proche de Thomas E. Lawrence (i.e. Lawrence d’Arabie) dont il partage les idées. Il considère en effet qu’il faut faire une place à la famille hachémite du Chérif de La Mecque.

En quoi consistent les accords Sykes-Picot ?

Les accords Sykes-Picot constituent un compromis entre alliés : les Britanniques, les Français, les Russes mais aussi, on l’oublie trop souvent, la prise en compte de la volonté des Hachémites. C’est pour cette raison que lorsque l’on dit aujourd’hui que ces accords sont la marque d’un découpage occidental, ce n’est pas tout à fait conforme à la réalité historique ; c’est aussi un découpage arabe au sens où la famille hachémite l’a désiré et l’a souhaité, avant que le projet ne lui échappe.
Quand on regarde une carte et le découpage originel qui avait été prévu, on constate que dès le début, il est question de trouver une place aux quatre fils de Hussein (Ali, Abdallah, Fayçal et Zeid). Ali doit conserver l’héritage du père, c’est-à-dire les villes saintes et le Hedjaz ; Abdallah la région autour de Bagdad, Fayçal le désert hors la Syrie littorale et on prévoit de laisser à Zeid le nord de la Mésopotamie entre les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate.

Initialement effectué et proposé par Lawrence d’Arabie, ce découpage sert en fait de matrice initiale à la réflexion cartographique qui sous-tend les accords Sykes-Picot. On trouve d’ailleurs dans le tracé de 1916 les éléments de cette répartition quadripartite qui couvre l’ensemble de la zone arabo-musulmane (Machreck et péninsule arabique). Le découpage porte donc bien en lui un substrat arabe, et c’est au moins autant dans les divisions arabes (opposition des Séoud aux Hachémites) que dans la lutte contre l’occupant mandataire ensuite qu’il faut chercher la contestation ultérieure des accords Sykes-Picot. En rivalité avec les Hachémites, Ibn Séoud est l’un des premiers à trouver matière à les contester, estimant que le point faible des accords Sykes-Picot porte sur La Mecque, Médine et l’ensemble de la Péninsule arabique, espaces qu’il cherche aussitôt à récupérer, tout repoussant les Hachémites vers le Nord. Une partition entre les Hachémites au nord et les Séoud au sud est déjà alors en gestation.

Ainsi, quand l’État islamique affirme aujourd’hui vouloir dissoudre les frontières d’autrefois, au motif qu’elles auraient été créées par les Occidentaux - Sykes et Picot -, l’EI fait une erreur d’analyse. Il s’agit là d’un raccourci de l’histoire qui n’est pas attesté par les archives.

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