Patimoine - تراث

Éditer al-ʿAynī : manuscrits et éditions du ʿIqd al-Ǧumān Par Clément Onimus, Institut français du Proche-Orient

, par Mohammad Bakri


Institut Français du Proche-Orient (Ifop)


Depuis une vingtaine d’années, différents chercheurs et philologues du monde arabe se sont engagés dans une vaste entreprise d’édition scientifique des chroniques médiévales. Certes, nombre d’entre elles avaient déjà été publiées par les orientalistes. Les principales histoires, topographies urbaines et autres encyclopédies biographiques avaient fait l’objet d’un travail philologique et historiographique approfondi de la part des savants européens. On pense notamment aux œuvres d’al-Maqrīzī, dont l’édition et la traduction en français et en latin ont été commencées dès la fin du XVIIIe siècle, ou à celles d’Ibn Ḫaldūn dont Sylvestre de Sacy a commencé la traduction au début du XIXe siècle. Pourtant, les lumières de ces grands auteurs ont laissé dans l’ombre bon nombre d’écrits de leurs contemporains, jusqu’à ce que des universitaires arabes reprennent le flambeau de l’édition d’ouvrages historiographiques de l’époque mamelouke (1250-1517), menés par quelques grands noms comme Muḥammad Muḥammad Amīn. L’œuvre de Badr al-Dīn al-‘Aynī a été au cœur de ce dernier mouvement éditorial.

Al-ʿAynī, juriste et lettré de l’époque mamelouke

Abū Muḥammad Maḥmūd ibn Aḥmad ibn Mūsā Badr al-Dīn al-ʿAynī est né à ‘Ayn Tāb (aujourd’hui Gaziantep en Turquie orientale) le 21 juillet 1361. Issu d’une famille de lettrés (son père était juge), il a mené les voyages d’études obligatoires pour tout jeune savant de l’époque, à travers l’ensemble du Proche-Orient, pour y suivre l’enseignement des meilleurs professeurs de l’époque. Il s’est ensuite installé au Caire où il a mené une brillante carrière d’homme de loi, occupant à plusieurs reprises le poste d’inspecteur des marchés (muḥtasib) à partir de 1398, puis de contrôleur des fondations pieuses (nāẓir al-aḥbās). C’est dans les premières années de cette carrière publique qu’il s’opposa fermement à l’historien al-Maqrīzī (1364-1442), devenu son rival aussi bien dans la quête des fonctions politiques et lucratives que sur le plan de la production historiographique. Contrairement à son illustre adversaire, al-ʿAynī n’abandonna pas la carrière publique, en dépit de quelques revers, notamment une disgrâce sous le sultan al-Mu’ayyad Šayḫ (1412-1421). Dans les décennies suivantes, il ne cessa de s’affronter sur la scène académique avec son second rival, tout aussi illustre que le premier, le grand juge Ibn Ḥaǧar al-‘Asqalānī (1372-1449). Sa maîtrise de la langue turque, apprise dans sa ville natale qui était en partie peuplée de Turcomans, lui donnait en effet un accès privilégié à la cour du sultan, car, sous le régime mamelouk, le turc était la langue de l’élite politico-militaire. Il cultiva cet avantage en traduisant en turc les textes juridiques arabes pour ces dominateurs trop éloignés de la population soumise qu’étaient les Mamelouks, de même qu’il traduisait à l’oral sa propre chronique pour la raconter aux sultans. Cette maîtrise du turc fit de lui, au même titre que son cadet Ibn Taġrī Birdī (1409-1470), un proche des émirs et donc un témoin privilégié de son temps et des événements politiques complexes et souvent conflictuels qui marquèrent ce siècle circassien. En bon courtisan, il ne négligeait pas de vanter leurs mérites dans de brefs panégyriques qui lui permirent de ne jamais cesser son ascension jusqu’au poste très convoité de grand juge des ḥanafites, sûrement la position la plus élevée qu’il pouvait espérer. Il mourut âgé, le 28 décembre 1451, peu après son ultime disgrâce.

Sa chronique : ʿIqd al-ǧumān fī tārīḫ ahl al-zamān

Badr al-Dīn al-‘Aynī, outre sa brillante carrière dans l’administration juridique mamelouke, fut un polygraphe prolifique. Juriste, il rédigea un commentaire d’al-Buḫārī qui lui valut l’hostilité d’Ibn Ḥaǧar al-‘Asqalānī. Poète et littérateur, il ne cessa de complaire aux puissants par des panégyriques. Mais c’est son œuvre d’historien qui fait tout l’intérêt de ses écrits. Al-‘Aynī est en effet l’auteur d’une chronique intitulée ʿIqd al-ǧumān fī tārīḫ ahl al-zamān (Le collier de perles au sujet de l’histoire des hommes du temps), qui retrace l’histoire universelle du début des temps à son époque. L’ouvrage est immense. Un des manuscrits, par exemple, compte environ 9000 pages, réparties en une quarantaine de volumes.

Le récit commence aux temps bibliques, avant de s’engager dans une vaste description de l’univers, aussi merveilleuse que géographique, qui s’attarde davantage sur le Dār al-Islām mais ne néglige pas le reste du monde. Suit l’histoire proprement dite. Purement narrative pour l’époque antéislamique, la relation se transforme en annale, sur le mode initié par al-Ṭabarī, pour les siècles qui suivent l’Hégire. Elle suit alors le modèle des chroniques de son temps, divisant le texte, d’une part, en événements (tārīḫ, aḫbār ou ḥawādīṯ) et, d’autre part, en obituaires (ṭabaqāt ou tarāǧim) des notables morts pendant l’année, intégrant ainsi les deux grands genres historiographiques de l’islam médiéval en une même œuvre.

Lire la suite en ligne : http://ifpo.hypotheses.org/4797
Clément Onimus, « Éditer al-ʿAynī : manuscrits et éditions du ʿIqd al-Ǧumān   », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient (Hypotheses.org), 7 février 2013.


Les Carnets de l’Ifpo

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)