Sporting Club, Emmanuel Villin Éditions Asphalte - Septembre 2016

, par Mohammad Bakri


Editeur


Titre : Sporting Club
Auteure : Emmanuel Villin
Éditeur : Éditions Asphalte
ISBN : 978-2-918767-62-6


Présentation

Dans une capitale méditerranéenne jamais nommée, le narrateur doit interviewer Camille, personnage mystérieux et insaisissable, dans le dessein d’écrire un livre. Mais ce dernier ne cesse de se dérober et de reporter leurs rendez-vous. Le narrateur passe alors le plus clair de ses journées dans une piscine en bord de mer, le Sporting Club. Pour tuer le temps, il observe la ville qui se transforme - toujours plus hostile et agressive, comme sourde à son propre passé - et côtoie la faune qui la hante. Cette ville, véritable capharnaüm plongé sous un soleil de plomb, affecte peu à peu le narrateur, qui nourrit son attente de rencontres dans lesquelles s’entremêlent les époques.

Emmanuel Villin est né en 1976. Ancien journaliste au Proche-Orient, il vit aujourd’hui à Paris. Sporting Club est son premier roman.

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Extrait

Argumentaire

Revue de presse





Agenda Culturel


Le 3/01/2017
Agenda Culturel
Sabyl Ghoussoub


"Sporting Club", une génération beyrouthine d’Emmanuel Villin


Je me méfie des Occidentaux et particulièrement des Français qui écrivent des histoires sur Beyrouth. Je n’aime pas leur regard exotique. Les Beyrouthins ne sont pas des animaux sauvages qu’on observe assis dans des Jeeps de location à travers des montures Alain Afflelou. Quoique la sauvagerie, les Libanais en ont longtemps fait un métier. Quinze ans de guerre civile... Enfin, ce n’est pas le sujet. Lorsque Rita, une amie libanaise m’annonce qu’un écrivain "apparemment Français enfin je ne sais pas trop, il parle aussi arabe sans accent" vient boire le café dans cinq minutes et déposer son premier roman, je me lève et file à toute vitesse. J’ai beaucoup mieux à faire. Genre aller boulevard Saint-Michel, à Gibert Joseph, comme tous les jours.

Comme tous les jours, une semaine après, au premier étage, je me balade. A Paris, à défaut de me jeter à la mer, je me noie dans les livres. Je suis comme un poisson jamais rassasié qui une fois rejeté à l’eau, s’accroche au prochain hameçon. Je brasse, je crawle, je papillonne autour d’eux. Eux me narguent, je le sais bien. Depuis le temps, ils me reconnaissent. Le petit Libanais avec son long manteau et son t-shirt échancré. Certains me font du pied, d’autres me gueulent dessus comme celui-là et sa photo de Beyrouth en couverture "alors tu m’achètes ya hmar ! Beyrouth, tu aimes, non ? T’as envie d’y être ! Ne mens pas. Allez, achète-moi. Non, pas ce roman sur l’Iran ! T’en as pas marre de tes Iraniennes et leurs histoires de voile. Allez, reviens aux sources, à ton pays". Je textote Rita.

 Habibte, je suis à Gibert. Tu peux me rappeler le nom de l’écrivain français de l’autre fois ?
 Emmanuel Villin
 Choukran ! Tu veux un livre ?
 Ne me parle plus de livres Sabyl, s’il te plaît.

Elle a bien raison, ne parlons plus de livres, mais de Beyrouth autour de deux serrés.

 "Tu sais, tout a commencé par un SMS. J’étais à Paris, en avril ou mai, je ne sais plus. Il pleuvait, il faisait froid enfin Paris et, je reçois le message d’un ami « Je suis dans ma coccinelle rouge, sans air conditionné, dégoulinant de sueur, coincé dans les embouteillages, j’arrive au Sporting. Je t’embrasse. » Tout m’est revenu. Les insultes en voiture, la transpiration sur la chemise, les chansons de Soap Kills. Je suis rentré chez moi et j’ai directement écrit quatre pages. J’y racontais la route pour arriver à la piscine du Sporting Club".
Assis face à Emmanuel Villin dans son QG, au Select, boulevard Montparnasse, je l’écoute me parler de Beyrouth. En entrant dans le café, il a salué le patron puis chaque serveur par son prénom et m’a embrassé trois fois « comme au Liban. »

 La chaleur humaine, Sabyl, c’est ce qui me manque ici. La chaleur humaine me bouleverse. Tu sais quand je croise des Libanais à Paris, quand j’entends cette langue dans les cafés, il m’arrive d’avoir les larmes aux yeux. C’est dingue mais n’ importe où dans Beyrouth, je me sens comme un poisson dans l’eau alors qu’ici, à Paris, dans plein de quartiers, je ne suis pas à l’aise.
 T’as donc vécu au Liban ?
 Sept ans.
 Et comment as-tu atterri là-bas ?
 Pour mon service militaire. Je donnais des cours de Français aux soldats de l’armée libanaise.
 Mais pourquoi le Liban ?
 Car j’ai toujours aimé ce pays et ma grand-mère paternelle, que je n’ai malheureusement jamais connue, a vécu à Beyrouth. Elle était Syrienne, mais a quitté Alexandrette pour s’installer au Liban dans les années trente quand sa ville est passée aux mains des Turcs.
 Et à la fin de ton service militaire, tu as donc décidé de rester...
 Oui, je suis tout de suite tombé amoureux de la ville, des Libanais, du pays. La guerre s’était terminée depuis dix ans et la ville recommençait à éclore. J’ai vécu cette période de renaissance culturelle, l’ouverture des premiers bars à Gemmayzé comme le Torino où j’ai été DJ. Je me rappelle encore avoir découvert l’iPod là-bas. J’en étais encore à mixer avec mes dizaines de vieux vinyles lorsqu’un Allemand est arrivé avec son petit gadget et ses deux mille chansons. Il y avait une atmosphère, une effervescence, une certaine douceur de vivre que j’ai traversées de l’intérieur. J’ai essayé de les retranscrire dans mon livre à travers les bars, les bruits, les odeurs de Beyrouth et évidemment son Sporting Club. J’ai aussi accordé une importance capitale au style d’écriture, à la manière dont je raconte mon histoire, au choix des mots, aux sonorités.
 Tu vivais de quoi ?
 Une fois le service militaire terminé, j’ai été prof de Français au Centre culturel et ensuite correspondant pour Le Monde, puis La Croix.
 Tu as donc couvert la guerre de juillet 2006 ?

Tout bien réfléchi, ne parlons plus de Beyrouth non plus, mais laissons les livres, en particulier ‘Sporting Club’ la raconter. Beyrouth ou même ailleurs.
"Cette ville, celle qui m’avait procuré dès le premier jour ce troublant sentiment d’évidence, je l’avais connue alors qu’elle était à la croisée des chemins, dans cet entre-deux où tout est possible. Aberrante et captivante, absurde et attachante, absconse et magnétique, elle recelait encore un pouvoir de fascination que tous les désastres passés n’étaient pas parvenus à ensevelir".

A la sortie de son film Mia Madre, Nanni Moretti a dit au quotidien Les Echos : "En Italie, on dit souvent que j’ai raconté une génération (...) Quand j’étais jeune et que je lisais dans les journaux italiens que j’étais le miroir d’une génération à travers mes films, cela m’agaçait. Je me sentais enfermé dans cette interprétation sociologique qui me dérangeait plutôt. Mais, aujourd’hui, j’ai changé d’avis. Si vraiment j’ai réussi à raconter une génération à travers mes films, je me considère comme chanceux et même honoré". Après seulement un roman, Emmanuel Villin peut déjà se considérer comme chanceux et honoré car il a réussi ce qu’aucun Libanais n’était encore parvenu à bien écrire en français : parler d’une génération beyrouthine, celle des années d’après-guerre. D’ailleurs, après sept ans de vie au Liban et une bonne maîtrise de la langue arabe, ne devrait-on pas accorder à Emmanuel la nationalité ? Enfin, ce n’est pas le sujet.

Sur le site de l’Agenda Culturel


L’Agenda Culturel est, depuis son lancement en 1994, la seule publication spécialisée dans la promotion des activités culturelles au Liban et la première en son genre dans le monde arabe. Média de référence, l’Agenda Culturel est un acteur majeur du développement de la vie culturelle et communique l’image d’une société en évolution en répertoriant les activités qui animent la vie culturelle du pays.


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