Nabadhate akher aleïl, Nassima Bouloufa (Algérie), roman policier نبضات آخر الليل، نسيمة بولوفة (الجزائر)، رواية بوليسية

, par Mohammad Bakri


13 juin 2015
Slimane Aït Sidhoum

El Watan


Une flic très chic


D’emblée, on peut adhérer à l’affirmation selon laquelle les femmes excellent dans l’écriture du polar.

Pour preuve, chacun est capable de citer de mémoire Agatha Christie, Mary Higgins Clark, ou Patricia Highsmith. La question de cette excellence féminine peut intéresser les historiens de la littérature dans le sens où ce genre ne cesse d’étonner par son inventivité sans cesse renouvelée.

En Algérie, le polar demeure le parent pauvre de la littérature et jusqu’à présent, aucune collection digne de ce nom n’existe dans l’édition nationale. Mais, de temps en temps, un titre vient égayer cette morosité, comme avec la jeune romancière Nassima Bouloufa. Cette journaliste de formation peut se targuer d’avoir écrit le premier roman policier algérien de langue arabe au féminin.

Il est intitulé, Nabadhate akhir al leïl qu’on peut traduire par Les battements de minuit, un titre qui renvoie à l’heure du crime, un topo du genre. Les personnages du roman sont nombreux et appartiennent à cette partie de la classe moyenne qui a réussi en combinant les études et les affaires. Ils évoluent dans un Alger chaotique et en pleine transformation. La capitale, sous la plume de l’auteure, devient cette ville tentaculaire dont les bruits assourdissants tentent d’étouffer le lyrisme des personnages.

Ce roman peut être considéré comme un reflet de la société algérienne post-terrorisme qui a vu l’émergence d’une nouvelle élite, portée sur la consommation des biens en tous genres et à cheval sur le paraître. La voix de Leïla, la narratrice principale, parvient avec sa poésie et sa truculence à installer l’intrigue comme on agence les pièces d’un puzzle.

On découvre que Leïla est inspectrice de police après avoir fait un parcours de juriste ayant fréquenté les prétoires. Il lui reste de cette formation la force de l’argumentation qu’elle développe pour convaincre sa hiérarchie de sa compétence et avancer dans ses enquêtes méthodiquement et sûrement. Elle partage son bureau avec son collègue Kamel, un quadragénaire aigri, un peu bourru et qui a des certitudes ancrées dans son travail. Il doute de la compétence de sa collègue, laissant entendre que ce métier ne sied qu’aux hommes. Leïla dresse pourtant de lui un portrait empreint d’admiration et d’affection.

Elle insiste sur la vie sentimentale de son collègue en précisant que son couple bas de l’aile. Au loin, on voit se profiler dans le désordre urbain, une villa de style victorien sur les hauteurs d’Alger qui respire l’aisance, l’harmonie et la quiétude. Mais cette bâtisse anachronique devient soudain une scène de crime. L’auteure utilise dans ses descriptions une langue arabe moderne expurgée de tout moralisme et des oripeaux de la prescription qui saturent le discours public.

Sa verve bat en brèche la bigoterie ambiante. La langue devient à partir de là un outil joyeux qui taquine le quotidien car il est mis au service de la littérature. Les mots profanes fusent en lettres chatoyantes. La narratrice introduit dans son récit des parenthèses où elle parle de son shopping, indique les lieux chics de la capitale, fait de l’introspection en errant dans la vie bouillante des personnages.

En un mot, elle écrit dans une langue moderne qui absorbe goulûment les néologismes, preuve que la langue s’adapte et se modernise car elle n’hésite pas à aller au contact des autres.

Une langue arabe qui se sécularise parce qu’elle est pragmatique. Ce langage fluide rend l’intrigue policière très plaisante, même si la typographie réduite choisie par l’éditeur invite à la myopie.
Elle nous raconte l’histoire de Safinez, écrivaine à succès ayant forgé ses armes dans le fantastique et l’horreur. On retrouve son cadavre inanimé dans cette grande maison sur les hauteurs d’Alger, une mort qui a toutes les allures d’un suicide.

Mais quelques jours avant cette découverte macabre, la victime avait rencontré son amie Leïla, l’inspectrice de police, pour lui faire part de ses inquiétudes sur ce qui se produisait de nuit dans sa grande maison. Elle avait l’impression que sa demeure était hantée par des forces maléfiques voulant la mener à la folie.

L’entourage de Safinez mettait ces soupçons sur le compte d’un délire propre aux écrivains à l’imagination fertile. Son mari Riad, sa femme de chambre Taos, et sa dame de compagnie, Fatima, étaient unanimes pour déclarer qu’il s’agissait des élucubrations d’une auteure prise à son propre jeu, elle qui affectionnait le paranormal.

Leïla qui ne croit pas à la thèse du suicide va essayer de dénouer les fils de l’intrigue pour parvenir à la vérité. Au cours de cette enquête menée avec dextérité, elle croise sur son chemin un de ses anciens admirateurs en la personne de l’avocat Samir. Il était bâtonnier avec des airs de jeune premier.

Elle succombe à son charme, car il a l’art et la manière de séduire. Cette relation amoureuse parasite sa lucidité et met en péril son objectivité. De fil en aiguille, Leïla apprend à connaître Samir et commence à se poser des questions sur leur idylle trop parfaite. C’est en suivant plusieurs pistes emplies d’embûches que la vérité pourrait apparaître. C’est aussi en fouillant dans le passé de chacun que le dénouement semble à portée de main. En somme, l’auteure utilise tous les ingrédients du genre pour brouiller les pistes des lecteurs les plus perspicaces.

Nassima Bouloufa, « Nabadhate akher aleïl ». Editions Vescera, Alger

Sur le site du journal algérien El Watan

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