Maghnia en Algérie, la ville des épices

, par Mohammad Bakri


El Watan


18 mai 2018
Culture
Chahredine Berriah


Maghnia, la qibla des épices



Maghnia, à l’approche et pendant le mois sacré, accueille plus de visiteurs que le nombre de sa population. But du voyage : s’approvisionner en épices. Evidemment !

Une marque déposée de la ville, même si cette dernière n’en cultive ni produit pas un gramme. C’est tout le mystère d’une étiquette héritée de la période où la frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc, fermée depuis 1994, était perméable. Pourtant, cadenassée ou pas, la frontière n’a pas altéré d’un iota cette activité commerciale, encore mois la réputation d’une cité de plus de 240 000 habitants se noyant dans les arômes culinaires à longueur d’année.

Depuis la nuit des temps, le nom de l’ancienne Numerus Syrorum rimait avec cannelle, poivre noir, gingembre, cumin, curcuma, safran... Des ingrédients indispensables dans les plats algériens. Mais qu’est-ce qui fait déplacer autant de familles des quatre coins du pays dans cette agglomération de l’extrême ouest du pays, alors que les épices sont commercialisées partout dans les magasins algériens ?

Si la recette et le secret de cette particularité demeurent « ensevelis » dans un pacte entériné au fil des ans entre les commerçants, la spécificité des produits exceptionnels maghnaouis est ressentie déjà sur les étals du marché couvert : les boutiques (le terme n’est pas exagéré) étalent leurs produits en forme de pyramides et de dunes aux couleurs chatoyantes.

De véritables oeuvres d’art dessinées par des artisans ayant aussi le don de goûteurs. Par l’odorat et la vue. Pour le commun des mortels — c’est ce qui fait la différence entre les uns et les autres — à des dizaines de mètres, l’éternuement est garanti. Fait ubuesque : au célèbre marché, les éternuements se confondent avec le brouhaha de la foule. Cependant, si les épiciers continuent d’exercer cette activité — par amour et pour une rentabilité honnête — le métier en lui-même est menacé non pas par la relève (qui existe), mais par le tarissement de sa source. Le Maroc.

Asiatiques ?

« La fermeture de la frontière, puis le durcissement des mesures de sécurité sur le tracé frontalier, depuis près de trois ans, nous inquiètent fortement. On a beau dire que les épices asiatiques sont bonnes et disponibles grâce aux importateurs, la vérité est là : rien ne vaut le produit marocain. J’ai goûté les épices du Sri Lanka et d’Inde et j’ai été sidéré.

Est-ce qu’elles sont aussi mauvaises à l’origine ou — et c’est vraiment grave et dangereux — sont-elles mélangées avec d’autres ingrédients et/ou des additifs chimiques ? Je me pose vraiment la question », s’insurge Abdallah, la quarantaine, ayant hérité le métier de son père. Une inquiétude partagée par un gros client de Bordj Bou Arréridj, rencontré sur les lieux : « Je gère une épicerie où je mets en exergue et en valeur le ‘label Maghnia’, ma clientèle vient pour ça, c’est pourquoi je viens m’approvisionner dans cette ville et toujours chez le même fournisseur.

Le rapport prix/qualité est intéressant. » Et de renchérir presque automatiquement, sans qu’on lui ait demandé une comparaison ou une précision : « Croyez-vous que je n’ai pas essayé les épices importées du Pakistan, de Turquie et d’Inde ? Je les aurais adoptées en dégageant plus de bénéfices, j’aurais gagné du temps aussi, mais je vous jure qu’elles n’égaleront jamais celle de Maghnia.

Je dirais que les épices de Maghnia sont pures. » Ahmed, soixante ans et près de quarante ans dans ce commerce, gère son activité à la rue Tindouf, dans le centre-ville de Maghnia, à quelques encablures du marché couvert. Dans son échoppe, il faut faire la queue pour se faire servir. « Le secret de notre renommée ?

Nous ne trichons pas, nous préparons nos épices nous-mêmes, avec notre expérience, notre savoir-faire et notre honnêteté. Chose que tout le monde ne fait pas. C’est comme le café, tout le monde en importe, mas tous n’ont pas le même goût, la même saveur... C’est peut-être pour cela que tout le monde cherche à connaître notre recette » dit-il avec un large sourire.

La fête

Abondant dans le même sens, le co-gérant souligne : « Ce n’est pas le métier d’un jour. Pour perdurer et garder sa notoriété, on doit sauvegarder la qualité, nos arômes et nos saveurs. » Pour Wassini, épicier, « il est vrai que notre chiffre d’affaires augmente en cette période, mais nous maintenons la cadence toute l’année, avec des pics les vendredi, samedi et pendant les vacances.

Comme vous le savez certainement, notre ville connaît un rush de touristes nationaux les week-ends et les vacances pour visiter ses stations thermales de Hammam Chigueur et Hammam Boughrara, pou goûter sa galette, voir de près la frontière... et acheter des épices ! » Et c’est dans ce contexte que Ahmed Belkhir, militant de la société civile, a « institutionnalisé » l’année dernière la Fête des épices.

A l’instar d’autre villes algériennes qui fêtent les fraises, les cerises, ou les oranges. Une sorte de braderie où les visiteurs découvrent les épices, à bas prix, pour ceux qui ne les connaissent pas, mais aussi pour faire connaître tous les autres richesses de la région. « Nous avons des atouts culturels et historiques. Notre réputation nous la devons, entre autres, à nos épices, notre h’rira (soupe)...

C’est une rencontre de convivialité dans une ville connue ou son hospitalité. » Cette année, en cette période qui enregistre la venue d’un flux humain, des jeunes se sont portés volontaires pour servir de guide aux visiteurs. « Nos montrons les bons coins, boutiques, parkings, sanitaires, chemins, nous les accompagnons pendant leurs emplettes pour les aider, les conseiller et les rassurer que c’est une ville paisible en général », explique Yacine, 25 ans. Au pays des épices, le client éternue agréablement, mais emporte dans ses bagages le vrai sésame pour une h’rira exceptionnelle. Pour peu que la cuisinière sache y mettre du sien...

Une route bien épicée

Existe-t-il une épice marocaine ? Selon des savants grecs, c’est en Inde, en l’an 400, que commence l’histoire des épices.

Pour la première fois, « on fait usage du poivre pour agrémenter le riz dans l’unique but d’obtenir de nouvelles saveurs, mais c’est bien plus tard, à l’Antiquité, que naît un intérêt véritable pour les épices ».

Les épices viennent d’Inde, de Chine, du Moyen Orient, d’Arabie, de Syrie, d’Ethiopie, du Yémen et d’Egypte. Il est fait mention de poivre, de gingembre, de clou de girofle, de cannelle...

Alors, pourquoi colle-t-on cette réputation surfaite du pays d’épices au voisin chérifien ?

Il faut reconnaître que ce pays s’en défend, si l’on se fie aux chiffres de la Fédération des industries de la conserve des produits agricoles du Maroc (Ficopam) : « Pour satisfaire ses besoins, le Maroc importe 13 500 tonnes d’épices et aromates divers.

Au bon vieux temps, la couverture était limitée à des origines réputées pour la qualité de leurs produits comme la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Brésil ou encore le Sri Lanka (...) Ces chiffres montrent que cinq produits importés et deux d’origine locale représentent près de 8% de la consommation globale du Maroc. »

Cependant, précise la même source, « la production nationale qui porte sur 9200 tonnes environ est constituée essentiellement du piment rouge, des graines de coriandre et du cumin, tandis que les divers aromates totalisent 1000 tonnes ». L’épice « marocaine » tient sa réputation de ses unités industrielles disposant de marques et d’une qualité reconnue mondialement.

l’Association des conditionneurs des produits alimentaires (Acopa) révèle que « 22 marques se partageaient le marché marocain du piment moulu dans les années 50 et jusqu’à la fin de la décennie 70.

Aujourd’hui, seule une unité industrielle vivote encore aujourd’hui face à la centaine d’ateliers artisanaux ». Alors, quelle véritable épice consomment les Algériens ?

La réponse semble toute simple. « Globalement, les épices proviennent d’Asie, que ce soit au Maroc ou à Maghnia précisément, c’est l’art de les préparer qui fait la différence », avoue Mohamed Azzouz, épicier.

Et à Maghnia, c’est ce qui fait sa particularité, il existe toujours ces artisans pour maintenir et préserver leur label...

Sur le site du journal algérien El Watan

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Le quotidien El Watan a été lancé le 8 octobre 1990, dans le sillage des réformes politiques, par vingt journalistes regroupés dans la SPA El Watan. Premier journal indépendant du matin à être édité en Algérie, il a basé sa ligne éditoriale sur un traitement objectif de l’information, en développant des analyses pertinentes, une vérification rigoureuse des informations publiées et un souci constant d’ouverture à l’ensemble des sensibilités politiques du pays, notamment celle de l’opposition démocratique. En savoir plus.



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18 mai 2018
Culture


L’art d’agrémenter !



Que serait un plat sans épices ? Les misogynes diraient c’est comme des créatures humaines sans fard ! Une comparaison à la limite du cynisme, certes, mais dont le gastronome pourrait tirer profit du côté esthétiquement culinaire.

Sauf que, prévient le cordon-bleu Rabie, trente ans dans les fours, « oui mais il ne faut pas trop les croiser sous peine d’être surpris par un menu indigeste ». Selon notre cuisinier, « le plat décide toujours de l’épice ».

Et de nos suggérer des plats succulents : « Traditionnellement, pour un tajine on utilise le cumin, mais rien n’empêche d’y ajouter du curry pour un tajine au poulet ou du basilic pour un tajine au poisson. »

S’inspirant de la cuisine marocaine, notre chef pense que « pour un pot-au-feu, il faut préférer l’anis étoilé, tandis que les mélanges cinq parfums (poivre de Sichuan, cumin, badiane, gingembre et noix muscade) et quatre épices (poivre, girofle, noix muscade et gingembre ou cannelle) agrémentent parfaitement les rôtis ».

En salivant, nous écoutons le cuisinier sans étoile qui subjugue ses clients par sa finesse, ses épices choisies et ses mets délicieux. « Le laurier, cuit dans la sauce, parfume d’une manière inouïe une belle truite, puis on ajoute une touche de citron. »

Comme desserts sucrés, Rabie nous suggère des gâteaux à la girofle. Et d’insister sur le fait que si l’on souhaite les réduire en poudre, il suffit de moudre la tête. « Pour un pain d’épices savoureux, une touche d’anis vert s’impose. La noix muscade relève aisément un gâteau, mais prenez garde si vous l’achetez entière : en grande quantité, elle devient toxique !

Achetez-la en poudre, elle sera inoffensive car déjà cuite. » Le chef cuisinier ne parcourt pas des milliers de kilomètres pour choisir ses ingrédients : « Je fais confiance aux épices de Maghnia dont je connais l’origine. Mes plats viennent de la même source, le pays voisin. Sauf que moi, je les retravaille en rajoutant mon sens du goût... »

Refusant de s’exhiber ou de se faire porter aux nues par les médias, notre interlocuteur dit bien gagner sa vie avec sa cuisine : « Sur le boulevard principal de la ville, les restaurants se ‘poussent des coudes’. De l’extérieur, on remarque quasiment les mêmes menus, mais de l’intérieur, il ne se dégage pas les mêmes saveurs. »

Des milliers de visiteurs prennent d’assaut ces lieux de restauration les week-ends. « Je ne suis pas un grand connaisseur dans l’art culinaire, mais Dieu ce que le poulet ici est succulent ! » témoigne Larbi Benaouda, enseignant à Mostaganem, venu à Maghnia spécialement pour acheter des épices pour le Ramadhan.

Très occupé dans sa cuisine, Rabie nous offre les derniers conseils pour un bon couscous : « Vous connaissez ras el hanout ? C’est un mélange de 37 épices ! » Oui, mais c’est comme mettre à la disposition d’un jeune toutes les pièces pou assembler un véhicule sans lui montrer la technique, le métier en fait, avons-nous rétorqué. « C’est ça, le métier justement. Et un bon cuisinier fait lui-même son marché, pour le reste, savourez notre nourriture, elle est ensorcelante et pas chère ! » On est mal tombé, c’est déjà le Ramadhan !

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