Les Syro-Libanais en Afrique Occidentale Française (A.O.F) des années 1880 à 1939

, par Mohammad Bakri

Julien Charnay

p. Vol 142. Seconde Partie, Etudes libres

Résumé

Grâce à l’exploitation des archives du Gouvernement général de l’ A.O.F et dans une perspective d’histoire sociale, cet article se propose d’étudier les chaînes migratoires qui se sont construites entre les villages du Mont-Liban et les colonies de la fédération d’Afrique occidentale française, essentiellement la Guinée et le Sénégal, depuis leur émergence dans les années 1880 jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale avant laquelle s’opère un tournant de la politique impériale française, aussi bien au Proche-Orient qu’en Afrique de l’Ouest. Dans un premier temps, il se propose d’interroger le caractère véritablement transnational de l’immigration des « Syro-Libanais », qualifiés comme tels par l’administration coloniale, en déterminant l’identité et le rôle des différents acteurs et relais sociaux de ces migrations ayant encadré les parcours des immigrants entre le Liban et les colonies ouest-africaines. Il en ressort que ceux-ci s’insèrent dans des réseaux transnationaux finement structurés au sein desquels l’intégration des individus dépend en grande partie d’un capital économique et social. L’article se propose ensuite de replacer cette histoire migratoire dans le contexte d’une politique coloniale française animée par une volonté de mise en valeur et de ce fait ouverte à tous les acteurs jugés capables d’y participer avant, sous l’effet de la crise des années 1930, d’opérer un tournant autarcique.

Texte intégral

Introduction

« À Beit Chabab, [petit village du Metn situé à quelques dizaines de kilomètres de Beyrouth], on dit couramment que l’on gagne son argent trois fois plus vite en Guinée qu’en Amérique »1. Cette remarque rapportée par Georges Poulet, lieutenant-gouverneur de la colonie de Guinée dans un rapport de mission de 1911 destiné au ministère des Colonies à Paris aurait de quoi surprendre si l’on oubliait que certaines régions du Liban et de Syrie ont été le foyer depuis la deuxième moitié du xixe siècle d’importantes circulations humaines les reliant à différentes parties du monde. Le petit village de Beit Chabab apparaît ainsi comme l’un des nombreux « villages mondialisés » (Levitt, 2001) de la région, transformés progressivement par le départ de plusieurs dizaines de leurs enfants partis pour améliorer leur situation socio-économique vers d’autres continents. Le développement de migrations dans un espace impérial français qui se construit selon des modalités hétéroclites doit ainsi être appréhendé, pour reprendre les termes du sociologue A. Sayad, en croisant « variables d’origine » propres à comprendre les raisons de l’émigration depuis le Levant, et « variables d’aboutissement » (Sayad, 1999 : 57) afin de cerner, d’une part, les parcours migratoires des individus, et d’autre part les facteurs favorables à une installation pérenne dans la société coloniale ouest-africaine. Ce cadre bien établi des études migratoires nous invite donc à considérer ce processus comme un phénomène continu (ou transnational pour reprendre le terme qui s’est imposé dans les travaux anglo-saxons portant sur l’immigration), liant foyers de départ et foyers d’arrivée. Car c’est bien dans ce cadre continu que s’est construit le statut du migrant entendu comme l’ensemble des caractères et des ressources reconnus socialement à l’individu par ses compatriotes et par le pouvoir colonial. Ce statut influe sur les conditions de son départ du Liban ou de Syrie, sur celles de son arrivée et de son parcours en A.O.F, ainsi que sur les relations construites entre ces deux pôles de la migration. Il s’agira donc de voir comment ces quatre configurations apparaissent déterminées par des variables de départ comme le capital social du migrant (son inscription dans des réseaux de parentèle, dans une communauté villageoise finement structurée et hiérarchisée etc.) ou économique (sa capacité à financer son voyage, son accès aux ressources économiques de la communauté migrante etc.) et par des variables d’arrivée où le statut de l’immigré oscille entre auxiliaire désiré de la politique coloniale française et individu à encadrer, à contrôler, voire individu subversif à éloigner.

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Référence électronique
Julien Charnay, « Les Syro-Libanais en Afrique Occidentale Française (A.O.F) des années 1880 à 1939 », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], Etudes libres inédites, mis en ligne le 05 mai 2017, consulté le 07 mai 2017. URL : http://remmm.revues.org/9745


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