Les Omeyyades, histoire du califat omeyyade de Damas

, par Mohammad Bakri


 Première partie


Les Omeyyades, histoire du califat omeyyade de Damas (1/2)


Les clés du Moyen-Orient


Les clés du Moyen-Orient
Par Oriane Huchon
Article publié le 08/09/2017


De 661 à 750, les Omeyyades (ou Umayyades) règnent sur un empire immense, le califat omeyyade de Damas. Période assez courte, elle souffrit d’une politique de discréditation menée par les successeurs des Omeyyades, les Abbassides, qui forgèrent une légende noire de ce premier empire arabe. Nous nous attacherons à présenter l’histoire des Omeyyades de Damas (par opposition aux Omeyyades de Cordoue, leurs descendants), dans deux articles distincts. Le premier se concentrera sur le contexte historique de l’établissement des Omeyyades à la tête d’un empire gigantesque, sur les caractéristiques de l’administration de cet Etat, sur les oppositions internes de plus en plus vives qui finalement conduisirent à la chute de l’Empire. Le second article présentera la civilisation de cette époque et ses achèvements : les conquêtes territoriales majeures achevées sous les Omeyyades, l’arabité intrinsèque à l’empire, les beaux-arts…

Contexte historique : la succession de Muhammad

L’établissement du califat omeyyade intervint dans le contexte troublé de la succession du prophète Muhammad. A la mort du prophète en 632, Abu Bakrfut nommé calife, c’est-à-dire celui qui doit succéder au prophète pour diriger la communauté des croyants musulmans. Abu Bakr était le père d’Aisha, la femme préférée de Muhammad, et compagnon de la première heure de celui-ci. Il était le premier des quatre califes râshidûn (« bien guidés »), considérés comme exemplaires dans la tradition sunnite. Omar (634-644) puis Othman (644-656) lui succédèrent. Mais les rivalités familiales s’accentuèrent. « Les territoires conquis s’étendent dorénavant de la Libye à la Perse. Pour s’assurer de leur fidélité, Othman place à la tête de ces nouvelles provinces des membres de sa famille. Face à cette attitude népotique, différentes branches d’opposition se coalisent et Othman est assassiné par un membre de cette opposition en 656. Ali, cousin germain membre de l’opposition et gendre de Muhammad, devient alors le quatrième calife. Mais sa place n’est pas reconnue par l’ensemble de la communauté. L’opposition s’intensifie jusqu’à contraindre Ali à fuir l’Arabie pour Kûfa, en Irak. Il est accusé de complicité dans le meurtre d’Othman. Mu’âwiya, gouverneur de Syrie, exige que son cousin Othman (famille des Omeyyades) soit vengé, et demande un arbitrage. Ali est alors privé du pouvoir. Le califat revient à Mu’âwiya qui fonde la première dynastie islamique des Omeyyades (661-750). » (1).

Les chiites étaient les partisans d’Ali, qui estimaient que celui-ci s’est vu usurpé le pouvoir et que les Omeyyades n’étaient pas les dirigeants légitimes de la communauté religieuse musulmane. Ils ne reconnaissaient pas non plus les trois premiers califes, qui auraient éloigné Ali du pouvoir. Ils ne reconnaissaient que l’imâm, le guide des croyants, comme successeur du Prophète, et considéraient Ali comme le premier imâm.

La prise de pouvoir de Mu’âwiya, membre d’un clan Qurayshite de La Mecque et descendant d’Umayya, ainsi que l’établissement du califat omeyyade furent donc deux éléments centraux de la mise en place de la rivalité fondamentale entre les chiites et les sunnites.

L’établissement d’un Etat séculier

Le rôle fondamental de Mu’âwiya

L’accession au pouvoir de Mu’âwiya se déroula dans un contexte marqué par l’instabilité et le manque d’unité du monde musulman en raison d’une administration décentralisée et de l’anarchie régnante entre les tribus nomades. L’avènement du calife Mu’âwiya ne constitua pas de véritable rupture avec la période des califes de Médine, mais marqua plutôt le début de nouvelles orientations. A la théocratie islamique, Mu’âwiya substitua un Etat arabe séculier fondé sur la caste dirigeante arabe.

Pour commencer, il s’éloigna des villes saintes d’Arabie et établit la capitale de l’Empire à Damas, qu’il connaissait bien en tant qu’ancien gouverneur de Syrie. Il marquait ainsi « sa volonté d’enraciner territorialement le régime arabe et d’associer traditions des grands empires sédentaires et traditions bédouines » (2).

Afin de répondre aux critiques et oppositions, Mu’âwiya centralisa le pouvoir autour de la personne du calife, afin de rétablir l’unité de la communauté. Dans les provinces, il nomma des gouverneurs qui devaient appliquer les directives du calife. Il mit en place une administration centrale capable de diriger un empire toujours plus vaste, puisque les conquêtes territoriales étaient nombreuses. Il s’entoura d’Arabes chrétiens de la province syrienne, considérant que les Arabes musulmans n’étaient pas encore aptes à diriger l’administration. L’historien Robert Mantran ajoute : « Mu’âwiya s’est appuyé surtout sur les Bédouins et, pour bénéficier de leur appui, il a été amené à établir une sorte de compromis entre le régime d’autorité absolue et celui de la collaboration avec les chefs de tribus et les notables, propre à l’Arabie antéislamique » (3). Il constitua une shûrâ centrale à Damas (conseil de cheikhs), « organisme consultatif mais parfois aussi exécutif » (4), et des shûrâ dans les provinces, ainsi que des délégations de tribus (wûfûd) qui assistaient les shûrâ et permettaient aux Arabes de donner leur avis sur la gestion de l’empire.

Mu’âwiya résolut enfin l’épineuse question de la succession. Habilement, il parvint à faire établir le principe dynastique et à nommer son fils Yazîd pour lui succéder. Il instaura ainsi le principe de succession héréditaire de l’Empire musulman.

Les historiens considèrent que Mu’âwiya a fondé un Etat séculier : il a mis en place une administration centrale, s’est attaché la fidélité des Arabes en les faisant participer à la politique de l’Empire. Grâce à sa finesse politique, il a su imposer la paix dans son empire, même en Irak où les oppositions au pouvoir omeyyade étaient les plus véhémentes. A sa mort en 680, l’Empire était stable.

Chronologie des califes omeyyades de Damas

Règne Calife
661-680 Mu’âwiya
680-683 Yazîd I
683-684 Mu’âwiya II
684-685 Marwân I
685-705 Abd al-Malik
705-715 Walîd I
715-717 Sulaymân I
717-720 Umar II
720-724 Yazîd II
724-743 Hishâm
743-744 Walîd II
744 Yazîd III
744 Ibrahîm
744-750 Marwân II

L’administration de l’Empire

Après la mort de Mu’âwiya, l’Empire alterna entre des périodes extrêmement troublées et des épisodes relativement calmes. Certaines réformes d’envergure furent menées par les califes omeyyades, notamment à partir d’Abd al-Malik. Ces réformes furent rendues nécessaires par le nombre grandissant d’Arabes dans les provinces de l’Empire et par les nombreuses vagues de conversions à l’Islam liées aux conquêtes territoriales des armées musulmanes.

Sous Abd al-Malik, l’administration devint arabo-musulmane, au détriment des chrétiens qui continuaient d’occuper les fonctions administratives jusqu’alors. L’arabe devint langue administrative dans tout l’empire, de l’Egypte à l’Iran. Abd al-Malik fit frapper une nouvelle monnaie en 695 pour remplacer les monnaies byzantines et sassanides. Apparaissent alors les premières pièces d’or (les dinars) et les premières pièces d’argent (dirhems) purement musulmanes. De plus, l’Empire fut divisé en cinq grands gouvernorats (5) :

 Irak - Iran - Arabie orientale (centre : Kûfa)
 Hedjaz - Yémen - Arabie centrale (Médine)
 Djéziré - haute Mésopotamie - Arménie - Asie Mineure orientale (Mossoul)
 Egypte (Fûstat)
 Afrique - Espagne (Kairouan)

La Syrie et la Palestine dépendaient directement du gouvernement de Damas. Les gouverneurs dans les provinces (amîr) avaient une grande autonomie. Ils étaient chargés de lever l’impôt, de représenter personnellement le calife, étaient responsables de l’administration civile et militaire de leur province. Ils y nommaient les chefs de région, les chefs des armées et les juges (qâdîs), chargés de rendre la justice aux musulmans d’après le Coran ou la tradition.

De nombreuses oppositions internes

L’Empire omeyyade fut marqué par de vives oppositions internes tout au long de son existence. Certains historiens qualifient ces troubles de « guerres civiles », ce qui laisse supposer de l’ampleur des difficultés rencontrées par l’administration centrale. Face aux tentatives de schismes, de rébellions, de sécessions, les califes durent renforcer leur autorité, donner de l’autonomie aux gouverneurs de provinces sans toutefois les laisser devenir des souverains locaux, organiser plus profondément l’administration centrale, faire rentrer les impôts, organiser les territoires conquis.

La première menace et opposition était religieuse et provenait des chiites et des kharidjites. Ceux-ci contestaient la légitimité de la dynastie omeyyade. Mu’âwiya employa la fermeté et la répression face aux chiites et aux kharidjites, ce qui cristallisa les oppositions mais permit la prospérité des régions agitées, notamment l’Iran et le bas Irak. Sous Yazîd, une importante révolte chiite éclata. A Médine, Husayn, le deuxième fils d’Ali, se fit proclamer calife. Lui et les siens furent massacrés par l’armée impériale le 10 octobre 680 (10 mouharrem 61). Depuis ce jour, le 10 mouharrem est un jour de deuil pour les chiites, et Husayn et les siens y sont célébrés en martyrs. D’autres révoltes chiites éclatèrent sporadiquement dans l’Empire jusqu’en 750.

« Reste enfin l’opposition kharidjite. En conséquence de leur refus de l’arbitrage d’Edhroh, les kharidjites affirmaient pour les croyants le droit de s’insurger contre l’imâm coupable d’une faute grave et aussi celui de choisir librement leur chef, qu’il soit ou non de descendance qurayshite » (6). Le kharidjisme fut majoritairement (mais pas exclusivement) adopté par les tribus arabes qui refusèrent de se soumettre à l’empereur omeyyade et cette cause religieuse fut conjuguée à l’insoumission politique. Les rivalités tribales continuèrent à s’exercer dans la péninsule arabique, comme à la période antéislamique. L’empire dut faire face à la conjugaison de ces rivalités intestines aux Bédouins et à leur opposition à l’administration centrale. Les révoltes incessantes des kharidjites, au Yémen et en Arabie orientale essentiellement mais aussi dans le Fars et en Irak, constituèrent une menace constante pour l’administration omeyyade. Ces révoltes devinrent plus nombreuses et plus violentes à l’approche de la chute de l’Empire.

A ces révoltes politico-religieuses, il faut ajouter une autre opposition d’un tout autre ordre qui secoua l’Empire, celle des mawâlî. Les mawâlî (clients) étaient essentiellement les musulmans non-Arabes, convertis des territoires conquis, mais aussi les Arabes ne faisant pas partie de la caste dirigeante. Ils étaient considérés comme inférieurs dans le système social omeyyade, et notamment face à l’impôt. Comme nous le verrons dans le deuxième article, les Arabes, constitués en caste sociale héréditaire, bénéficiaient d’avantages et de privilèges démesurés. Les mawâlî considéraient que, selon l’Islam, tous les croyants pouvaient exiger l’égalité dans le domaine économique et social, notamment face à l’impôt. Or, une telle égalité aurait réduit drastiquement les revenus de l’Etat central et une augmentation des dépenses, au détriment de l’élite dirigeante. Deux impôts particulièrement étaient visés par les mawâlî : l’impôt foncier et la capitation. Les musulmans, selon les critères coraniques, ne doivent payer que la dîme (zakât). Mais les mawâlî étaient tenus de payer l’impôt foncier et la capitation en plus de la dîme, impôts qui pesaient lourdement sur ces populations sans cesse plus nombreuses en raison des conversions. Face à ces revendications, le calife Abd al-Malik adopta une attitude ferme et découragea la conversion à l’Islam des dhimmis (« protégés », les chrétiens et les juifs). L’opposition des mawâlî à l’égard des Omeyyades n’était à l’origine pas politique ou religieuse. Elle exprimait le mécontentement économique et social d’une population discriminée par le système impérial. Mais face aux réactions du régime, de nombreux mawâlî se convertirent au chiisme. Une vaste révolte des mawâlî éclata en 685, réprimée violemment en 687. Le mouvement resta vivace jusqu’à l’avènement du calife Umar ibn Abd al-Aziz (Umar II), qui institua le principe d’égalité devant l’impôt de tous les musulmans. Il autorisa également les mawâlî à s’installer dans les villes de garnison. Pour compenser en partie la perte des revenus associés à ces mesures, le calife accentua la pression exercée sur les dhimmis. A sa mort, ses successeurs se virent contraints de mener une réforme du système fiscal pour répondre aux difficultés financières liées à l’instauration de l’égalité de tous les musulmans face à l’impôt. Ces mesures aggravèrent la pression fiscale et ranimèrent les oppositions apaisées par Umar II, conduisant en quelques années à la chute de l’Empire omeyyade.

Déclin et fin de l’empire arabe des Omeyyades

Au milieu du VIIIe siècle, la somme des oppositions tribales, kharidjites et chiites conduisit à la chute de l’Empire omeyyade. L’Encyclopédie Larousse résume en ces termes la fin de l’Empire omeyyade : « Le coup de grâce est donné par le parti des Hachimiyya, secte d’origine chiite, dirigée à partir de 716 par Muhammad ibn Ali ibn al-Abbas (descendant d’un oncle du Prophète), puis, respectivement, par ses deux enfants Ibrahim et Abu al-Abbas. S’appuyant sur les mawâlî iraniens, auprès desquels un agitateur chiite, Abu Muslim, persan lui-même et lieutenant d’Ibrahim, rencontre un immense succès, le mouvement des Hachimiyya parvient à s’emparer du Khorasan en 747-748 et s’engage dans une lutte ouverte contre les Omeyyades. En 749, les troupes des Omeyyades sont écrasées à la bataille du Grand Zab. Abu al-Abbas, qui succède à son frère Ibrahim à la tête du parti des Hachimiyya, est proclamé calife en 750 et inaugure le règne des Abbassides. » (7)

Toute la famille des Omeyyades fut massacrée, à l’exception d’un des petits-fils du calife Hishâm, ‘Abd al-Rahman ibn Mu‘awiya. Celui-ci s’enfuit en Espagne, s’empara de Cordoue en 756 et y fonda un émirat indépendant. Ses descendants pacifièrent Al-Andalus en soumettant les chefs arabes et berbères, et adoptèrent le titre de calife pour s’émanciper totalement des califes abbassides de Bagdad. Ce fut la naissance, en 929, du califat omeyyade de Cordoue, Etat qui fut marqué jusqu’à sa chute en 1031 par une remarquable prospérité économique et intellectuelle.


Lire sur ce thème sur les Clés du Moyen-Orient :

L’État médinois : la genèse de l’Empire de l’Islam (632-661)

Sunnites/chiites : aux origines du grand schisme de l’Islam


(1) Lisa Romeo, article « chiisme » publié sur Les Clés du Moyen-Orient le 25/06/2010. http://www.lesclesdumoyenorient.com/chiisme.html
(2) A. Ducelier, M. Kaplan, B. Martin, F. Micheau, Le Moyen-Âge en Orient, 3e édition, Hachette Supérieur, 2006, Paris.
(3) Robert Mantran, L’expansion musulmane. VIIe – XIe siècle, 6e édition, coll. « Nouvelle Clio, l’histoire et ses problèmes », PUF, 2001, Paris.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) « Omeyyades ou Umayyades », Encyclopédie Larousse en ligne, page consultée le 16 mai 2017.


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 Deuxième partie


Les Omeyyades, succès et achèvements de la dynastie omeyyade (2/2)


Les clés du Moyen-Orient


Les clés du Moyen-Orient
Par Oriane Huchon
Article publié le 11/09/2017


Malgré les difficultés et les vives oppositions auxquelles les Omeyyades doivent faire face de 661 à 750, le premier empire musulman arabe a accompli des prouesses militaires en s’étendant de l’Atlantique au Turkestan. Malgré les affirmations des écrits abbassides postérieurs, sous les Omeyyades les arts n’étaient pas négligés, ni le fait religieux. Dans ce second article portant sur la dynastie des Omeyyades, nous exposerons les différents succès et caractéristiques de la dynastie omeyyade. Nous reviendrons tout d’abord sur les vastes conquêtes territoriales, puis sur l’arabité intrinsèque de l’Empire et enfin sur l’art sous les Omeyyades.

La deuxième phase d’expansion musulmane

Les Omeyyades furent à l’origine de la deuxième vague d’expansion de l’islam. Celle-ci fut opérée simultanément vers l’Ouest, vers l’Est, et légèrement vers le Nord (Anatolie). Ces conquêtes survinrent lors des périodes où la situation intérieure de l’Empire était relativement calme. La détermination des Arabes et leur « enthousiasme conquérant », tel que le qualifie Robert Mantran, sont illustrés par les tentatives de sièges de Constantinople, qui était pourtant une ville réputée pour sa richesse, son armée et sa puissance.

A la différence de la première vague d’expansion, l’extension du domaine de l’Islam ne se fit plus au détriment de l’Empire byzantin, malgré des conflits de frontières réguliers entre les musulmans et les chrétiens et les différentes tentatives de siège de Constantinople entre 678 et 718. Les principaux mouvements d’expansion partirent d’Egypte ou du Khurâsân. Fait nouveau par rapport aux premières conquêtes de l’islam, les armées comprenaient non seulement des contingents de militaires arabes, mais aussi des éléments indigènes (iraniens ou berbères) convertis à l’islam (1). Un des chefs de guerre les plus importants, Tarîk, était lui-même berbère, il vainquit les Wisigoth en Espagne et s’empara de Tolède en 711. La présence d’éléments indigènes s’expliquait par la sédentarisation progressive des Arabes. « Les Arabes, en effet, se montraient de plus en plus réticents à partir pour des campagnes lointaines, l’élan guerrier se ralentissait avec leur progressive sédentarisation et la découverte de sources de revenus nouvelles pour eux même si, aux frontières, se maintenait le goût du djihâd » (2).

Les expéditions vers la Transoxiane (Asie centrale) et vers l’Inde partaient de la province du Khurâsân. L’Afghanistan fut conquis en 699-700, puis les troupes arabes s’emparèrent de la Sogdiane, du Tokharistan, du Khwârezm et du Ferghâna, régions situées à l’emplacement actuel de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan, du Kirghizstan. Dans ces régions, et notamment au Ferghâna, les Arabes se battirent contre les Chinois qui étaient alors la puissance occupante. Les conquérants s’attachèrent à islamiser les populations conquises, Samarkand et Boukhara devinrent ainsi de grands centres de civilisation musulmane. Les Turcs constituaient une menace pour les territoires nouvellement conquis, que les Omeyyades tâchèrent de maintenir. Plus au sud, les Arabes atteignirent l’Indus et le sud du Penjab en 713.

A l’ouest, les conquêtes partirent d’Egypte. La campagne menée par ‘Oqba ibn Nafi’ en 670 fut décisive, elle aboutit à la fondation d’un camp militaire permanent à Kairouan. Les Arabes occupèrent momentanément la Tripolitaine, la Cyrénaïque et l’Ifrîqiya, puis soumirent définitivement à l’Islam la totalité du Maghreb entre 705 et 708. La résistance des Byzantins et des Berbères fut forte, et même après la victoire décisive des Arabes sur l’Afrique du Nord, la résistance berbère demeura. Ceux-ci se convertirent massivement à la doctrine kharidjite, hostile aux Omeyyades. A partir de 710, les Arabes conquirent l’Espagne. Sous l’impulsion des Berbères intégrés aux armées musulmanes, les Omeyyades marchèrent sur le sud de la Gaule, et furent stoppés à Poitiers en 732 : cette défaite marqua le point extrême de l’expansion musulmane à l’Ouest.

Dans les régions conquises, d’importantes vagues de conversion eurent lieu, sans que les Arabes aient mené de politique délibérée en ce sens. Les nouveaux convertis devinrent les mawâlî (Cf. Partie I : Histoire du califat omeyyade de Damas).

Un empire arabe

Le groupe des mawâlî (« clients ») formé par les nouveaux convertis dans les territoires conquis ne cessa de grossir et de poser problème, du moins jusqu’à l’avènement du calife Umar II (717-720). Jusqu’à son règne, la suprématie arabe dans l’Empire était sans conteste. A ce titre, l’Empire omeyyade est considéré comme intrinsèquement arabe et musulman, à l’inverse de son successeur abbasside qui intégra des musulmans de tous horizons dans l’administration.

Dans les premières décennies de l’Empire, le système social était fondé sur une stricte séparation entre conquérants et conquis. Sous Abd al-Malik, l’arabe devint langue administrative, et des monnaies arabes furent frappées. Dans les provinces, des terres furent attribuées par les califes à des particuliers qui devaient les exploiter : ces particuliers étaient tous Arabes. De même, les administrateurs de l’Etat central et des provinces étaient presque tous Arabes, à l’exception de certains Syriens. La religion musulmane était diffusée dans les terres nouvellement conquises par l’arabe, et la langue et l’administration arabes ont constitué un facteur essentiel d’unification de l’Empire. Il faut d’ailleurs préciser que les peuples conquis conservaient leurs langues et leurs coutumes, l’arabe étant utilisé essentiellement pour le culte religieux et pour les affaires relatives à l’Etat. Pour autant, l’ouvrage Le Moyen-Âge en Orient nous précise : « si des critiques et des révoltes apparurent contre le régime umayyade, elles ne furent ni anti-islamiques, ni anti-arabes, mais s’inscrivirent dans le cadre arabo-musulman qui venait de se préciser » (3).

Les conquérants musulmans arabes formaient au début de l’Empire une classe supérieure sous l’autorité du calife. Ils bénéficiaient d’un régime d’imposition préférentiel et étaient les seuls à pouvoir entrer dans l’armée. On leur attribuait les terres et les revenus. C’est à cette classe que les mawâlî voulaient adhérer. Les autres membres de la société étaient les dhimmî, c’est-à-dire les chrétiens et les juifs, qui jusqu’à Umar II, bénéficièrent d’une vie assez calme. Ensuite, ils subirent des pressions fiscales très dures. Enfin, les esclaves constituaient la dernière classe sociale de l’empire omeyyade.

A l’époque omeyyade, la vie économique était essentiellement fondée sur l’agriculture. En revanche, dès cette époque, un phénomène caractéristique de la civilisation musulmane s’enclencha : le développement des villes, dû au rôle central que jouait désormais la mosquée comme lieu de rassemblement des croyants, et à l’organisation administrative de l’Empire. Les villes étaient les centres de gouvernement provinciaux.


L’expansion territoriale sous les Omeyyades


L’art sous les Omeyyades

Dans ces villes en plein essor, une culture commença à se développer. L’art islamique est né dans les villes de Syrie et de Palestine à l’époque omeyyade. Au départ, les objets manufacturés du VIIe siècle étaient identiques à ceux des siècles précédents, marqués par les traditions sassanide et byzantine. Mais peu à peu, un art musulman naquit.

La poésie antéislamique continua de jouer un grand rôle dans la tradition orale et littéraire des Arabes. Une prose littéraire émergea également, et les premières études du Coran et de la tradition furent entreprises.

D’un point de vue architectural, les Omeyyades ont laissé quelques traces, mais malheureusement assez peu. Sur les châteaux du désert des princes omeyyades, référons-nous à l’article de Baptiste Enki publié sur Les clés du Moyen-Orient : « L’islam du désert : les palais omeyyades de la steppe jordanienne ». Ces châteaux sont aujourd’hui malheureusement dans un état assez délabré, et les rares fouilles archéologiques qui s’y sont intéressées ne sont pas parvenues à déterminer leur utilité : pavillons de chasse ? Forts avancés ? Lieux de commandement ? Demeures de villégiature ? Tout cela à la fois ? Ces châteaux posent plus de questions qu’ils n’en résolvent, mais ils constituent les premières traces que l’on ait gardées de l’Islam. De plus, ils apportent la preuve grâce aux représentations iconographiques que les princes Omeyyades appréciaient les plaisirs de toutes sortes et que la représentation d’êtres humains n’était pas interdite.

Certains édifices religieux omeyyades demeurent à ce jour, notamment la Coupole du Rocher à Jérusalem, dont la construction débuta en 688 sur l’emplacement du Temple de Jérusalem. Elle fut construite en suivant des plans et des motifs de mosaïques antiques. Elle devait permettre le pèlerinage des musulmans à Jérusalem et la célébration de l’Islam. L’édifice religieux le plus emblématique de cette période est la Grande mosquée des Omeyyades de Damas, elle fut le premier édifice à adapter les plans byzantins aux besoins du culte musulman. L’Encyclopédie Larousse développe : « Sa cour antérieure entourée de portiques, sa salle à trois nefs parallèles, coupées en leur milieu par une travée perpendiculaire, donnent le schéma fondamental de ce qui sera, pour des siècles, la mosquée dite « arabe ». » D’autres grandes mosquées omeyyades sont toujours debout aujourd’hui. Jusqu’à 2013 et sa destruction par le régime de Bashar al-Assad, la mosquée des Omeyyades d’Alep en Syrie constituait l’un des joyaux de cet art architectural omeyyade.

Pour les arts ornementaux, on peut constater l’émergence d’un art omeyyade dans certains châteaux du désert et dans les édifices religieux épargnés par les siècles. On y trouve de la pierre et du stuc travaillés, de la peinture murale et des mosaïques. L’art non-figuratif était répandu, mais la représentation d’être animés était majoritaire.

Ces traditions artistiques furent transférées en Al-Andalus à la chute des Omeyyades de Damas après 750. En Espagne, elles connurent un essor et un foisonnement sans précédent, et le califat omeyyade de Cordoue est aujourd’hui considéré comme une des époques intellectuellement et artistiquement les plus florissantes de l’histoire de l’Islam.

Conclusion

L’empire des Omeyyades fut donc une période de grande expansion de l’Islam menée par des Arabes guerriers et conquérants. Période que l’on connaît finalement assez mal et qui a souffert d’une politique de discréditation par les Abbassides, elle marque cependant une étape fondamentale de l’histoire du monde musulman.

Nous utiliserons en conclusion un passage du livre de Robert Mantran : « Si l’on a pu qualifier l’Empire omeyyade d’Empire arabe c’est qu’il a non seulement étendu la suprématie arabe sur des territoires considérables, que les Arabes se sont répandus de l’Atlantique au Turkestan, mais surtout qu’il a maintenu le caractère arabe du gouvernement et continué les traditions littéraires de l’Arabie pré- et proto-islamique. En outre, il a œuvré en faveur de l’instauration de la langue arabe comme langue commune en ajoutant à sa qualité de langue religieuse celle de langue de l’administration » (4). Si l’Empire omeyyade fut caractérisé par son Islam intrinsèquement arabe, l’Empire abbasside qui lui succéda fut plutôt décrit comme l’empire de l’Islam multinational.


Notes
(1) A. Ducelier, M. Kaplan, B. Martin, F. Micheau, Le Moyen-Âge en Orient, 3e édition, Hachette Supérieur, 2006, Paris
(2) Ibid.
(3) Ibid
(4) Robert Mantran, L’expansion musulmane. VIIe – XIe siècle, 6e édition, coll. « Nouvelle Clio, l’histoire et ses problèmes », PUF, 2001, Paris


Pour aller plus loin sur Les clés du Moyen-Orient :

État abbasside (750-945) : l’Empire de l’Islam à son apogée ? Première partie

État abbasside (945-1258) : la reconfiguration du monde musulman. Deuxième partie
L’islam du désert : les palais omeyyades de la steppe jordanienne (1/2)
L’islam du désert : les palais omeyyades de la steppe jordanienne (2/2)


Bibliographie :
A. Ducelier, M. Kaplan, B. Martin, F. Micheau, Le Moyen-Âge en Orient, 3e édition, Hachette Supérieur, 2006, Paris
Robert Mantran, L’expansion musulmane. VIIe – XIe siècle, 6e édition, coll. « Nouvelle Clio, l’histoire et ses problèmes », PUF, 2001, Paris
« Omeyyades ou Umayyades », Encyclopédie Larousse en ligne, page consultée le 16 mai 2017
Lisa Romeo, article « chiisme » publié sur Les clés du Moyen-Orient le 25/06/2010. http://www.lesclesdumoyenorient.com/chiisme.html
Baptiste Enki, article « L’islam du désert : les palais omeyyades de la steppe jordanienne », 2 parties, publié sur Les clés du Moyen-Orient le 30/09/2016 : http://www.lesclesdumoyenorient.com/L-islam-du-desert-les-palais-omeyyades-de-la-steppe-jordanienne-1-2.html et http://www.lesclesdumoyenorient.com/L-islam-du-desert-les-palais-omeyyades-de-la-steppe-jordanienne-2-2.html


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