Les Occidents des mondes arabes et musulmans Éditions Geuthner - 2017

, par Mohammad Bakri


Editeur


Auteur(s) : Auteur : Collectif, DEL FIOL Maxime, [MITATRE Claire Cécile
Titre : Les Occidents des mondes arabes et musulmans, Afrique du Nord XIXe-XXIe siècles
Editeur : Éditions Geuthner
Parution : 2018
240 pages
ISBN 10 : 2705339999
ISBN 13 : 9782705339999


Éditions Geuthner


Ni les mondes arabes et musulmans ni les mondes occidentaux ne constituent des totalités intemporelles et immuables, des blocs monolithiques et irréductibles. Ces deux espaces historiques aux délimitations fluctuantes entretiennent en outre, depuis des siècles, d’innombrables relations, si bien que leur histoire se présente comme une série continue d’échanges multiples et réciproques au sein d’un continuum-monde de plus en plus globalisé.

Dans cette trame commune, l’expédition d’Égypte et la rencontre des mondes arabes et musulmans avec la "modernité" européenne au début du XIXe siècle ouvrirent une nouvelle séquence. Les influences européennes dans les domaines économiques, politiques, techniques, culturels et scientifiques s’imposèrent progressivement et furent très souvent discutées. Cet ouvrage pluridisciplinaire, réunissant des chercheurs maghrébins et européens et croisant études littéraires, sciences humaines et sciences sociales, porte sur les différentes manières dont les acteurs des mondes musulmans d’Afrique du nord ont perçu, expliqué, construit, voire "créé" l’"Occident" depuis ce moment décisif. Les contributions des différents auteurs permettent de comprendre à quel point ces discours et perceptions ne sont pas univoques, les "occidentalismes" des mondes arabes et musulmans variant selon les contextes historiques, géographiques et sociopolitiques, mais aussi selon le genre des acteurs, leurs conceptions idéologiques, leurs parcours de vie individuels et l’importance de leurs interactions avec les mondes occidentaux.

En décrivant la diversité des modes de perception et d’explication des mondes occidentaux depuis les mondes arabes et musulmans, au travers de l’analyse de textes et de données produites par des enquêtes de terrain au long cours, cet ouvrage collectif est aussi une critique de la sombre vision huntingtonienne du "Choc des civilisations".

Les coordinateurs :

Maxime Del Fiol, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud, agrégé de lettres modernes et docteur ès lettres, est maître de conférences en littératures française, francophone et comparée à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, où il est responsable du master d’Études culturelles. Il est également membre du laboratoire RIRRA 21 (EA 4209), dont il dirige le programme « La mondialisation des littératures ». Ses travaux portent sur la poésie française contemporaine, les littératures francophones postcoloniales, la mondialisation des littératures et l’Islam arabe. Il a notamment dirigé plusieurs volumes collectifs et il a publié deux ouvrages personnels : Salah Stétié. Figures et infigurable (Paris, Alain Baudry et Compagnie, 2009) et Lorand Gaspar. Approches de l’immanence (Paris, Hermann, 2013).

Claire Cécile Mitatre, anthropologue, est maître de conférences à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 ainsi qu’à l’École Poly­technique Paris-Saclay et membre du CERCE (EA 4584-E1). Elle mène depuis 2003 des recherches sur les Sahraouis de l’Ouest Saharien, fondées sur un travail de terrain au long cours. Ses travaux mettent à jour des réseaux de correspondances entre des faits so­ciaux de tailles très différentes, partant de micro-relations (relations de parenté, allaitement, corps, production d’images), jusqu’à des faits de grande envergure (relations inter-tribales, traites esclavagistes, nationalisme, politique internationale, patrimo­nialisation culturelle). Elle a notamment publié l’ouvrage El Melhfa. Drapés féminins de l’ouest saharien (Malika éditions, Casablanca, 2011 /2014 pour la traduction en anglais et arabe).

Sommaire :

  • Claire Cécile MITATRE : "Est-on toujours le « barbare » des autres ?"
  • Maxime DEL FIOL : "Occidentalismes et occidentalisation de l’Islam. Réflexions critiques pour une nouvelle nahda cosmopolite"
  • Dominique CASAJUS : "Pour les Touaregs, les Occidentaux ne sont-ils que des païens ?"
  • Sonia ZLITNI FITOURI : "L’Occident à l’épreuve de l’imaginaire maghrébin dans la littérature maghrébine de langue française"
  • Daniel LANÇON : "L’islam des Orientaux réformistes au début du XXe siècle : débats plurilingues en vue d’une Renaissance"
  • Touriya FILI-TULLON : "L’utopie contrariée de Muhammad al-Hajwî"
  • Thomas BRISSON : "L’Occident /Orient comme enjeux épistémiques : Crise du tiers-mondisme, connexions transnationales et déterminations politiques des critiques arabes (Abdel-Malek, Alatas, Patterjee)"
  • Ridha BOULAABI : "L’homoérotisme oriental au risque de l’Occident"
  • Richard JACQUEMOND : "La traduction en arabe du roman mondial (1991-2015). Jalons pour une enquête"
  • Josephine VAN DEN BENT, Robbert WOLTERING, Lidwien VAN DE WIJNGAERT : "Representations of the West in Post-Mubarak Egypt"

En savoir plus sur le site de l’éditeur



En toutes lettres


Le 8 mai 2019
En toutes lettres
Propos recueillis par Kenza Sefrioui


Richard Jacquemond : Que traduit-on en arabe ?


Dans un article intitulé « La traduction en arabe du roman mondial (1991-2015). Jalons pour une enquête », publié dans Les Occidents des mondes arabes et musulmans, Afrique du Nord XIXe-XXIe siècles, ouvrage collectif dirigé par Maxime de Fiol et Claire Mitatre (Geuthner, 2018), Richard Jacquemond s’intéresse à la question négligée de la production romanesque traduite en arabe, de 1900 à nos jours, et en retrace l’histoire et les enjeux.

Spécialiste de littérature arabe moderne, Richard Jacquemond est professeur à l’université Aix-Marseille au sein du département des études Moyen-Orientales et chercheur à l’IREMAM, l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe, a en effet travaillé plus de quinze ans en Égypte et est l’auteur de nombreuses publications scientifiques portant sur la création littéraire arabe contemporaine ainsi que sur les travaux de traduction vers et depuis l’arabe. Il a également traduiten français de nombreux ouvrages (romans, nouvelles et un recueil de poèmes) d’auteurs, surtout égyptiens, notamment Sonallah Ibrahim.

Martin Gautier

Quelles sont aujourd’hui les spécificités de la traduction littéraire dans le champ éditorial arabe ?

D’abord, il est difficile de s’en faire une idée précise compte tenu de la diversification de l’édition arabe (alors qu’autrefois Le Caire et Beyrouth étaient en position de quasi-duopole, aujourd’hui une édition nationale s’est développée dans la plupart des pays arabes, mais souvent les livres circulent peu ou mal d’un pays à l’autre).

Cela dit, mes enquêtes bibliographiques m’amènent à noter quelques tendances générales : la présence assez discrète des genres et auteurs les plus populaires dans les marchés occidentaux aujourd’hui (roman policier, romance, fantasy…) et, par conséquent, de la production nord-américaine et anglo-saxonne en général qui domine ces genres sur le marché international. D’ailleurs il en va de même pour la littérature nord-américaine canonique ou high brow, assez peu présente.

Les grands romanciers américains d’aujourd’hui sont très peu visibles en traduction arabe, beaucoup moins que sur les marchés européens en tout cas. Comparativement, les littératures européennes (française, allemande, italienne, espagnole…) sont plutôt mieux représentées, ainsi que la littérature d’Amérique latine, celle de la « génération du boom » en particulier.

En revanche les autres littératures du Sud (Afrique) et d’Orient sont peu présentes, à part quelques grands noms. Autre particularité, la forte présence en traduction arabe des auteurs arabes d’expression française ou anglaise, une forme de « retour du texte » bien légitime et qui ne concerne pas que la littérature d’ailleurs.

Vous faites ce triste constat que « à l’instar de ses pairs travaillant vers les grandes langues centrales, le traducteur arabe reste un écrivain de seconde main et de second plan, qui ne s’autorise pas ou à qui on n’autorise pas les libertés reconnues à l’écrivain de première main. » Comment dépasser cette situation ?

C’est vrai en dehors du monde arabe aussi, mais le problème actuellement dans l’édition arabe c’est la raréfaction des « grands traducteurs », et aussi du profil de l’écrivain-traducteur, qui étaient plus fréquents dans les générations anciennes, quand la traduction avait plus de prestige parce qu’elle était associée au projet nahdawi.

De ce point de vue la situation actuelle est plutôt révélatrice d’une « normalisation » du statut du traducteur arabe : il « s’invisibilise », comme le traducteur anglais ou français. Il n’empêche que même si l’on a souvent tendance à déprécier leur travail, je suis convaincu qu’il y a d’excellents traducteurs en activité aujourd’hui et qu’il y en a de plus en plus au fur et à mesure que la situation du marché éditorial s’améliore.

Il reste un problème particulier qui est lié à la question de la diglossie fusha/darija : les écrivains de première main ont depuis un bon moment déjà fait voler en éclat la barrière qui séparait l’arabe écrit de l’arabe parlé, mais c’est forcément plus difficile à faire pour les traducteurs, ne serait-ce que parce qu’insérer de la darija dans un texte traduit d’une langue étrangère revient forcément à le « localiser » dans un espace particulier. Mais cela aboutit à des choses assez terribles, comme cette traduction égyptienne du Voyage au bout de la nuit de Céline dans un parfait arabe littéraire !

Vous plaidez pour une sociologie des traducteurs. Pourquoi et que peut-elle apporter à la compréhension des enjeux du secteur ?

Parce que ceux qui les exercent sont justement formés à exercer le magistère de la parole, les métiers intellectuels sont ceux qu’on a le plus de mal à considérer objectivement, et donc ceux pour lesquels l’objectivation sociologique s’impose avec le plus d’urgence. Cela vaut aussi pour les traducteurs.

Par exemple, il y a chez nous toute une mythologie du traducteur « passeur entre les cultures » qui ne nous dit rien sur les conditions objectives, historiquement et socialement situées, dans lesquelles travaillent ceux qui s’adonnent à la traduction – le plus souvent à côté d’autres activités, ce qui est justement un élément parmi d’autres qu’on a tendance à oublier dans cette construction mythologique du « passeur ».

Il y a eu pas mal d’enquêtes de type sociologique en Europe ; de même en France une équipe collective vient d’achever une Histoire des traductions de langue française – le dernier volume paraît le 19 mai prochain. Mais de l’autre côté de la Méditerranée, que sait-on précisément (objectivement) des traducteurs arabes ? Pas grand’ chose. C’est un beau programme de recherche…

Sur le site En toutes lettres

En toutes lettres est une maison d’édition spécialisée dans la publication d’essais d’écrivains, de chercheurs et de journalistes.
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