Les abricots de Baalbeck de René Otayek Les Éditions Noir Blanc Et Caetera - Août 2018

, par Mohammad Bakri


Editeur


Auteur(s) : René Otayek
Titre : Les abricots de Baalbeck
Dimensions : 20 x 14 x 2.5 cm
Date De Parution : Juin 2018
ISBN 9789953043593
Nombre De Pages 288

Résumé du livre

Les abricots de Baalbeck, c’est la rencontre de deux histoires qui ont pour théâtre le Levant aux XIXe et XXe siècles : celle d’une dynastie de consuls d’origine génoise établie à Alep puis à Saint-Jean D’acre dès le XVIIIe siècle, et la « grande » histoire, celle de cette région du monde bouleversée par le déclin et bientôt la fin de l’Empire ottoman, la mise en place de la tutelle européenne consécutive à la Grande Guerre, la cristallisation des ethnonationalismes, le choc des communautarismes. À travers le singulier destin de la famille Catafago et de l’une de ses descendantes, Évelyne, c’est un monde bigarré, cosmopolite, multiculturel, mais finissant qui se donne à voir. De pérégrination en pérégrination, d’exil en exil, ce récit raconte l’agonie d’une utopie qui s’appelait le Levant. Mais le levantinisme est-il mort avec le Levant, désormais appelé Proche-Orient ? Est-il affaire d’origines, de lieu de naissance ou de religion ? Être levantin, n’est-ce pas plutôt un état d’esprit, une manière d’être au monde, s’entêter à construire des passerelles là où d’autres ne songent aujourd’hui qu’à ériger des murailles ? Les abricots de Baalbeck est un roman qui nous parle de ce Levant à réinventer, mais c’est d’universel qu’il est ici question.

En savoir plus


à propos de l’auteur

René Otayek est directeur de recherche au CNRS (France) et enseignant à l’Institut d’études politiques de Bordeaux. Il est spécialiste de l’Afrique subsaharienne et du monde arabe auxquels il a consacré l’essentiel de ses travaux universitaires. Avec Les abricots de Baalbeck, il nous livre un récit historique inspiré de son histoire familiale, en forme d’hommage à un monde qui n’est plus et qui, peut-être, n’a existé qu’en rêve.




Orient XXI


Orient XXI
René Otayek, extraits
31 août 2018


Récits du Levant

« Les abricots de Baalbeck » de René Otayek


Ce récit croise une histoire familiale, celle des Catafago, dynastie de consuls levantins d’origine génoise établie à Alep puis Saint-Jean D’Acre dès le XVIIIe siècle, avec l’histoire du Levant aux XIXe et XXe siècles. Les extraits ci-dessous en évoquent quelques moments-clés, comme le rappel de l’identité palestinienne de Jaffa et celui de la mémoire historique du levantinisme, les dérives des États-nations nés du démembrement de l’empire ottoman, ou encore les promesses non tenues de la Nahda du XIXe siècle

Le temps occulté des bayarat

[…]

J’imagine quelle dut être l’appréhension de Téta [Il s’agit en fait d’Évelyne Catafago, épouse Élias Chaya, grand-mère maternelle de l’auteur] quand le paquebot qui l’amenait d’Alexandrie accosta au port de Beyrouth en ce 1er janvier 1926. Elle avait alors vingt-trois ans et venait d’épouser au Caire, quelques jours avant son départ, l’homme qui était désormais son époux. Élias, robuste Libanais de dix-huit ans son aîné, était en effet allé la « chercher », comme on dit encore aujourd’hui, dans la capitale égyptienne où elle et sa famille, à l’exception de son père Philippe qui ne les rejoignit que quelques années plus tard, avaient été contraints de s’exiler à la veille de la Première Guerre mondiale. Comme tous les Palestiniens, jamais le souvenir de sa terre natale ne devait la quitter et c’est toujours avec nostalgie qu’elle évoquait Yâfa (Jaffa en français), la ville qu’elle considérait comme la sienne bien qu’elle fût née à Akka (Saint-Jean-D’acre) en 1902. Je ne puis dire s’il y avait une aspiration au retour dans cette nostalgie car Téta n’était pas une militante de la cause palestinienne. Mais il y avait chez elle l’attachement à un lieu, Yâfa, où sa famille s’était installée peu après sa naissance, un nom, celui de Catafago, et des souvenirs dont, étonnamment, elle se rappelait les moindres détails plusieurs dizaines d’années après […].

Il y avait encore le souvenir des champs d’orangers qui faisaient déjà la renommée de Yâfa et dont son père et surtout sa tante paternelle Émilie possédaient de vastes vergers. Leurs fruits, juteux, à la peau assez épaisse, sans pépins contrairement aux autres variétés d’oranges, étaient exportés au Liban, en Syrie, à Constantinople et, plus loin encore, Liverpool ou Odessa. On dit même qu’un consul britannique en poste en 1851 en Palestine ottomane en offrit trois caisses à la reine Victoria, qui les apprécia, ce qui en établit une fois pour toutes la renommée.

Le réalisateur israélien Eyal Sivan, cousin de Rony Brauman dont on connaît les positions critiques à l’égard de l’occupation israélienne des Territoires palestiniens, raconte cette entreprise de destruction de la mémoire palestinienne dans son très beau film Jaffa, la mécanique de l’orange. Dès le XIXe siècle, la culture et l’exportation de l’orange étaient en effet une activité économique majeure en Palestine. Ouvriers agricoles arabes et juifs y travaillaient côte à côte, dans de grandes orangeraies que les premiers nommaient bayarat et les seconds pardès. Seule la colonisation sioniste de la Palestine mit fin à cette coexistence, aujourd’hui disparue ou occultée de la mémoire des deux peuples. Mais il en est resté un nom, une identité, Jaffa, que les oranges de Palestine firent connaître au monde entier bien avant que le jeune État d’Israël se l’approprie et en fasse un symbole national.

Le levantinisme, une « civilisation du contact »

[…]

Cette famille de Levantins, héritiers d’Européens établis précocement dans les Échelles du Levant, essaima à Akka, Haïfa et Yâfa, à Saïda et Beyrouth, à Alexandrie, au Caire et à Chypre, avant de se projeter vers le Nouveau Monde, New York et Montréal notamment, où Édouard et Alfred, deux des frères de Téta émigrèrent dans les années 1970. Leur trajectoire n’est-elle pas, au fond, celle d’une mondialisation avant l’heure, faite de fluidités, au sens que donne à ce terme l’anthropologue indien Arjun Appadurai, et d’une multiplicité des appartenances, mais aussi de permanences et d’ancrage dans une mémoire historique ? Ils étaient européens, ottomans, arabes, génois, yaffaouis ou akkaouis (de Saint-Jean-D’Acre), chrétiens et bahaïs, ils deviendront aussi cairotes, alexandrins, beyrouthins, chypriotes, américains ou québécois, mais ils ne cesseront jamais d’être des Levantins.

C’est pour cette raison que j’aime et je revendique ce terme de Levantins, souvent négativement connoté dans le langage courant. Pour moi, il va bien au-delà de son acception initiale qui le réserve aux seuls francophones et aux Européens établis historiquement dans les Échelles du Levant. Il n’a pas grand-chose à voir non plus avec les ambitions géopolitiques françaises du XIXe siècle, pas plus qu’avec la compréhension orientalisante qu’en avaient les Britanniques engagés dans leur lutte d’influence avec les Français et qui opposaient l’artificialité des Levantins à l’authenticité des Bédouins du Hedjaz, leurs alliés contre les Ottomans. Il doit encore moins à la perception méprisante qu’avaient Ben Gourion et les principaux leaders sionistes ashkénazes de la notion de levantinisme, synonyme pour eux de vil mercantilisme et de corruption. Ceux-là n’avaient pas compris que le levantinisme est, comme l’écrit l’historien du Moyen-Orient Henry Laurens, une « civilisation du contact », sans doute parce qu’elle était la radicale négation de leur rêve ethno-national.

Le Levantin […] est un homme de l’entre-deux, un « passeur culturel », comme disent les historiens tel Sanjay Subrahmanyam, qui, parce qu’il en est au croisement, fait dialoguer les cultures et les civilisations au lieu de les opposer, construit des ponts là où beaucoup, aujourd’hui, ne pensent qu’à ériger des murailles […]. Le levantinisme n’est pas affaire d’origine, de religion ou de lieu de naissance ; c’est un ethos, un état d’esprit, une manière d’être au monde. Être levantin, c’est, pour emprunter sa belle expression à Aimé Césaire, « être poreux à tous les souffles du monde »...

Lire l’article sur le site Orient XXI

Le site est animé par un groupe de journalistes, universitaires, militants associatifs, anciens diplomates qui veulent contribuer à une meilleure connaissance de cette région si proche et dont l’image pourtant est si déformée, si partielle.

En savoir plus sur les animateurs

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)