Traduction - ترجمة

Le Quartier américain, Jabbour Douaihy (Liban), Roman حيّ الأميركان، جبور الدويهي (لبنان)، رواية

, par Mohammad Bakri


Editeur


Auteur(s) : Akram Musallam
Titre : Le Quartier américain
Editeur : Actes Sud
Collection : Actes Sud/Sindbad
traduit de l’arabe (Liban) par : Stéphanie DUJOLS
Parution : Septembre, 2015 / 13,5 x 21,5 / 192 pages
ISBN 978-2-330-05308-6


Actes Sud


À Tripoli, les destins entrecroisés d’Abdel-Karim, enfant d’une grande famille de notables, et d’Ismaïl, né dans le quartier le plus pauvre de la ville, surnommé « le quartier américain ». À travers ces deux personnages, c’est l’histoire récente de toute une ville qui nous est admirablement contée, en même temps que sont restitués les antagonismes de classe, de génération et de culture, la décomposition de l’élite traditionnelle, les élans brisés de la jeunesse et l’irrésistible ascension de l’islamisme radical.

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Agenda Culturel


Le 28/03/16
Agenda Culturel
Propos recueillis par Nicolas Feldmann


"‘Le Quartier américain’ de Jabbour Douaihy


‘Le Quartier américain’ raconte l’histoire d’une ville à la croisée de deux destins. Celui d’Ismaïl, jeune gamin des faubourgs pauvres de Tripoli, recruté par un prédicateur pour aller commettre un attentat en Irak au lendemain de l’intervention américaine de 2003. Sa mère Intissâr travaille pour la famille Azzâm, une famille de notables de Tripoli, dont le fils Abdel-Karim vit dans la nostalgie d’un amour perdu. A travers ces deux trajectoires et celles de leurs familles, Jabbour Douaihy réunit deux milieux sociaux qu’a priori tout oppose. L’écrivain tisse un lien habile entre réalité et fiction, entre l’histoire récente de Tripoli marquée par la montée de l’islamisme radical et son passé glorieux.

Qu’est-ce qui vous a amené à situer l’intrigue principale du ‘Quartier américain’ dans ces faubourgs désœuvrés de Tripoli ?

Avant de penser aux personnages, je pense avant tout aux lieux. Je n’écris que sur des endroits et des choses que je connais. Ces quartiers, ils font partie de moi, dans une ville que j’aime beaucoup. Je suis de Zgharta, mais je passe plus de temps à Tripoli, je me sens plus Tripolitain. Certes, je connais mieux les quartiers ouest de la ville, ceux de la classe moyenne. Mais le ‘Quartier américain’ c’est une partie de mon enfance. Quand j’étais au Collège des frères des écoles chrétiennes, nous étions juste en face, de l’autre côté de la rivière. On voyait ces quartiers avec ces maisons perchées sur la montagne et quand on y entrait, on voyait plein de figures : le mendiant, des vieilles femmes un peu folles qui brayaient et que tout le monde connaissait, tout une faune qui existe encore. Tous ces personnages on les retrouve dans ce livre.

Ces personnages ont donc vraiment existé ?

Ils sont en moi. Au point de départ du projet, je connais ce vendeur de galettes que l’on croise ou l’homme aux fleurs… J’ai d’abord pensé à l’intérieur de ce quartier, puis j’ai commencé à en extraire des personnages de romans. Je me suis dit d’abord il faudrait qu’il y ait ce jihadiste, Ismaïl, puis son père Bilal, qui serait un peu la mémoire fêlée de cette ville, car il y a vécu beaucoup d’expériences. Et puis il y a la mère, Intissâr, cette femme modeste qui reprend le travail familial au service des Azzâm. Des Intissâr, j’en connais quelques-unes à Tripoli. Ces femmes courageuses qui, comme dans mon roman, ont hérité de la fonction de leur mère. Si vous lisez ce roman, ces gens, même s’ils ne sont pas vrais, ils sont familiers.

Ce roman, il raconte aussi le destin croisé de deux jeunes hommes qu’a priori tout oppose, mais qui en fait ont les mêmes aspirations...

Ils ont des aspirations autant que les humains se ressemblent, mais elles n’ont pas le même contexte culturel. Quand l’un vient d’une famille aisée, l’autre vit dans la misère. Ismaïl n’est pas poussé vers le jihad uniquement que par l’ennui, il y aussi cette misère vécue. Il a travaillé avant de prendre cette voix, a essayé d’être quelqu’un, d’avoir une identité. J’ai voulu lui donner de l’humanité : s’il renonce à commettre son attentat, ce n’est pas pour rien.

Vous montrez le délabrement de ces quartiers déshérités de Tripoli, les antagonismes de classe sociale, autant d’ingrédients qui favorisent le départ d’Ismaïl vers le jihad armé. Est-ce que ce roman a aussi une fonction de documentaire ?

J’ai un peu mené mon enquête. Je suis allé rencontrer ces jeunes, je leur ai posé beaucoup de questions, mais c’était très difficile d’en tirer quelque chose, car ils ne cessent de déverser des versets coraniques, ils se défendent avec des éléments de langages intériorisés, mémorisés, ils s’insèrent dans un texte qui leur est préexistant et dont ils n’ont que la justification écrite. Cependant, je ne crois pas que ces parcours de jihadistes soient prédéterminés. Si l’acte est le même - le fait de se ceinturer avec des explosifs pour aller se faire sauter dans un bus -, les trajectoires sont différentes. Parmi ces jihadistes, on trouve aussi bien des jeunes issus de ces quartiers pauvres de Tripoli, que des gens d’ailleurs : des femmes, des diplômés, certains qui ne parlent pas un mot d’arabe ou même qui n’ont jamais lu le Coran.

Derrière les figures d’Ismaïl et d’Abdel-Karim, on suit aussi la trajectoire de leurs familles dans le Tripoli du XXe siècle…

Oui, ce roman c’est aussi un peu l’histoire de la ville. J’ai voulu créer un cadre historique et spécial. J’ai aimé raconter le déroulement de Tripoli à travers différentes générations : la phase arabisante, nationaliste, indépendantiste, pro-palestinienne, pour arriver à l’islamisme, un islamisme qu’on voudrait croire aujourd’hui très prononcé, mais qui en fait ne l’est pas. Bien qu’il y ait des jeunes qui partent faire le djihad, ils ne sont pas nombreux. Tripoli n’est pas une terre de recrutement très fertile. Lors du récent conflit armé entre les quartiers sunnite de Bab-al-Tebbaneh et alaouite de Jabal Mohsen, on a pu croire un moment que Tripoli allait plonger dans le radicalisme tous azimuts, mais elle y a échappé. Il y a certes dans cette ville une déformation sociale, des changements, des bouleversements et une violence liés à tout ce qu’il se passe autour, et particulièrement en Syrie, mais jusqu’ici la société tripolitaine ne s’est pas encore décidée à risquer une réelle radicalisation. Si c’est une ville conservatrice, c’est aussi une ville qui se cherche.

Votre roman est paru en décembre 2013 en arabe (‘Hay el-Amerkane’ chez Dar al-Saqj), avant de sortir en français en septembre 2015 (Actes Sud). Pour vous qui écrivez en arabe, mais qui avez enseigné la littérature française à l’université de Tripoli, quel regard portez-vous sur votre livre en français ?

Je ne vois pas comment on peut traduire soi-même son propre livre, c’est une corvée. Les traducteurs qui ont travaillé sur mes bouquins sont merveilleux et consciencieux. Stéphanie Dujols qui a réalisé la traduction du ‘Quartier américain’ a déjà de l’expérience, elle m’a posé beaucoup de questions, mais en général, elle travaille toute seule, je n’ai aucune raison de corriger quoi que ce soit, sauf pour des malentendus possibles, lorsque j’utilise un lexique plus parlé qu’écrit. Son travail a été très fidèle à mon écriture, je suis content, car je m’y retrouve. Bien sûr ces traductions perdent quelque chose en route, mais à part ce principe de base, on ne peut pas rendre le tout arabe dans le tout français

Sur le site de l’Agenda Culturel


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جبّور الدويهي

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