Le corps dans l’espace islamique médiéval Dossier des Annales Islamologiques, 48 (1), 2014, 344 p

, par Mohammad Bakri

KOETSCHET Pauline et ZOUACHE Abbès (éd.) , Le corps dans l’espace islamique médiéval, Dossier des Annales Islamologiques, 48 (1), 2014, 344 p


Manuela Marín

p. vol 145


Les éditeurs de ce beau volume sur la problématique du corps en Islam médiéval ont classé ses articles dans quatre sections : « Beauté et laideur : normes physico-sociales » ; « Métaphores corporelles : vagabonds et paladins » ; « Aimer et souffrir », et « Cycles de vie ». Les douze textes réunis offrent au lecteur des perspectives multiples et diversifiées sur un sujet qui attire l’attention des chercheurs depuis un certain temps. Dans leur introduction, les éditeurs soulignent la « volonté de certains médiévistes arabisants d’envisager le corps comme un produit social, révélateur des tensions qui irriguent une société, voire comme un ensemble de “représentations mentales” façonnées par des normes elles-mêmes inscrites dans une culture donnée, normes dont il s’agit de traquer les mutations au fils du temps ». Constitué en sujet historique, le corps devient ainsi un axe de recherche qui touche à des questions tant symboliques que matérielles, et qui met en cause des clichés et des stéréotypes sans cesse répétés. En milieu islamique, ce genre d’études est d’autant plus nécessaire que, à l’heure actuelle, les préjudices des vieux et des nouveaux orientalismes battent leur plein.

À la question implicite (comment on a pensé et représenté le corps humain dans l’espace islamique pré-moderne) les différents auteurs ont répondu par des études monographiques, qu’on pourrait parfois qualifier même d’essais micro-historiques. Les normes physiques et sociales qui établissent les critères de la beauté et les exclusions qui s’en dégagent sont examinées par Kristina Richardson (« Blue and Green Eyes in the Islamicate Middle Ages »), Marion Holmes Katz (« Fattening Up in Fourteenth-Century Cairo. Ibn al-Ḥāǧǧ and the Many meanings of Overeating ») et Syrinx von Hees (« Descriptions of the Body in Biographies and Their Social Meanings. Al-Ṣafadī’s Use of “Handsome Figure” in Describing his Contemporaries »). Richardson se livre à une réflexion remarquable sur les attitudes de la société face à la question de la couleur des yeux (bleue ou verte) en parcourant les sources littéraires, mais aussi médicales et même religieuses, et cela à partir de l’analyse de la racine arabe Z.R.Q. Elle prend même en compte les implications politiques que peut revêtir la question (il faut toutefois ajouter à sa bibliographie l’étude de Pedro Buendía, « ¿Es el verde el color del Islam ? Simbolismo religioso y connotaciones políticas del color verde en el Islam », Le Muséon, 125 (2012), p. 215-240). Katz analyse avec intelligence et précision les opinions d’Ibn al-Ḥājj sur les femmes égyptiennes de son temps qui, dit-elle, mangent d’une façon excessive pour atteindre un volume corporel qui les rendrait plus attirantes. La censure du juriste s’adresse aux usages sociaux qui demanderaient des femmes un style corporel contraire aux idéaux religieux d’austérité dans la consommation des biens alimentaires. Katz s’interroge avec raison sur les motivations des femmes qui suivaient ces tendances. Cependant, il est douteux que, comme elle l’affirme, « overeating here represents an exercise of self-mastery in the service of a goal » (p. 50), comme si, pour certaines femmes, l’embonpoint aurait traduit la volonté de transformer leur corps. L’auteure ne manque pas de noter que, dans ce cas, elles suivraient les désirs des hommes qui trouvaient l’obésité plus séduisante que la maigreur. Il s’agissait d’une pratique connue au moins dans les milieux aisés de la société islamique médiévale, comme l’attestent les livres de cuisine de l’Occident islamique (al-Andalus et le Maghreb), où l’on peut trouver des recettes de plats qui « font grossir les femmes ». L’article de Syrinx von Hees a pour base l’étude de 70 biographies selectionnées dans le Aʻyān al-ʻaṣr wa-aʻwān al-naṣr d’al-Ṣafadī, qui en contient environ 2000 : il s’agit des seules biographies où l’auteur décrit l’aspect physique du personnage. Von Hees fait une étude serrée du vocabulaire employé par al-Ṣafadī dans ces descriptions, mais les conclusions qui s’en dégagent ne dépassent pas des niveaux très généraux, et même d’une certaine banalité.

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Référence électronique
Manuela Marín, « KOETSCHET Pauline et ZOUACHE Abbès (éd.), Le corps dans l’espace islamique médiéval, Dossier des Annales Islamologiques, 48 (1), 2014, 344 p », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], Lectures inédites, mis en ligne le 05 mai 2017, consulté le 07 mai 2017. URL : http://remmm.revues.org/9762

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