Patrimoine - تراث

La Casbah revisitée : grandeur et décadence d’une citadelle القصبة، الجزائر

, par Mohammad Bakri


El Watan


21 février 2013
Kamel Benelkadi


Malgré sa dégradation avancée, La Casbah d’Alger continue de résister aux outrages du temps. Ses murs décrépis racontent l’histoire de ceux qui nous ont précédés.

Malgré son classement au Patrimoine mondial par l’Unesco depuis 1992, elle sombre de jour en jour dans le délabrement. Des pans entiers ont disparu. Ceux qui l’ont connue dans les années de gloire n’ont que la nostalgie comme consolation. Pourtant, La Casbah peut être un bon produit pour le tourisme de mémoire. A l’occasion de sa Journée nationale, qui coïncide avec le 23 février, nous avons décidé de revisiter les lieux. La Casbah n’est pas uniquement une ville. Elle est une âme et des traditions. Très peu de jeunes connaissent les péripéties de cette cité en cascade qui se rafraîchit de brise marine.

Quand on leur pose la question, ils répondent avec gêne : « J’habite à Alger, mais je n’ai jamais visité La Casbah ». Un aveu qu’on dit tout bas, mais un fait avéré, beaucoup d’Algérois ne connaissent pas cette partie de leur patrimoine qui, pourtant, n’est qu’à quelques pas de chez eux. Rien ne saurait mieux la décrire que Himoud Brahimi, dit Momo, qui lui a déclamé sa flamme : « Si j’avais à choisir parmi les étoiles pour comparer, le soleil lui-même ne saurait éclipser la lumière du verbe que tu caches. Aucun lieu sacré, ni aucune capitale ne sauraient réunir ce que, chaque matin, le lever du jour t’offre comme guirlande. »

Visiter ce lieu, c’est aller à la rencontre de la skiffa, le patio, le kbou (façade) et les fontaines aujourd’hui asséchées. Très peu de gens savent, par exemple, que Dar Essouf était un dépôt d’étoffes, transformé en tribunal administratif à l’époque de la colonisation française, avant de devenir un centre de tortures. Très peu d’Algériens ont su que la rue Mohamed Azzouzi portait le nom de route de Magharbâ et qu’elle abritait dans ses murs les habitants de Bologhine Ibn Ziri. Aujourd’hui, la vieille médina est dans un état lamentable.

Les monuments sont en ruines. Les maisons s’effondrent les unes après les autres et les quelques palais restaurés sont fermés. Construite au début du XVIe siècle, plus exactement en 1516, sous l’égide de Baba Aroudj, la citadelle a été achevée véritablement en 1591. La citadelle : un monument en restauration depuis plus de 30 ans ! La moitié des maisons y sont d’inspiration ottomane : étages à encorbellement soutenus par des étais apparents en bois, patio intérieur orné de céramiques et de colonnettes.

Nostalgie dans les regards

Les visiteurs sont continuellement à la recherche de ses couleurs, ses senteurs, ses saveurs et ses ambiances. Parmi les endroits à découvrir : Dar Aziza, Bastion 23 (édifié sur le front de mer en 1826), mosquée Ketchaoua (bâtie en 1794 par le dey Baba Hassan, cathédrale Saint Philippe pendant 130 ans, puis de nouveau mosquée), Djamaâ Djedid (1660) et Djamaâ El Kébir (XIe siècle).
Faire une escapade à La Casbah est une manière de franchir les portes du temps, en cheminant des ruelles pittoresques aux entrailles tortueuses et mystérieuses.

Dans l’ombre mystérieuse d’une étroite ruelle voûtée s’enfoncent des jeunes femmes dont on voit frémir le hidjab. L’observateur y décèle soudain mille détails. En restituant la beauté de cet ensemble urbain, nous pouvons déchiffrer le passé. Il y a aussi Dar Khedaouadj, ancien palais d’Ahmed Raïs (1572), devenu propriété d’une des filles du dey Hassan Pacha (XVIIIe siècle). Ce palais abrite aujourd’hui le Musée national des arts populaires.
C’est dans cette ancienne cité aussi que l’acte de naissance du chaâbi a été signé. Les maîtres de cet art ont pour noms Cheikh Nador, puis Cheikh El Hadj Mohamed El Anka et aussi Cheikh El Hasnaoui. Il a permis à des générations de musiciens d’oublier la misère et de chanter l’amour.

Un chaâbi de légende célébrant le créateur et la beauté

Dès lors que l’on s’y adonne, s’y abandonne, on ressent la joie de réinventer le monde sur le fil d’une exaltation lucide. Plongeant ses racines autant dans la culture musicale classique arabe et arabo-andalouse que dans les styles populaires de son temps, le chaâbi était la musique de choix pour toutes les occasions festives, des plus privées aux plus publiques. Le répertoire est varié, mêlant style classique et style populaire. Il est composé de chansons d’amour, allant de sa version mystique, célébrant l’amour du « créateur de toute chose », à sa version plus mondaine, célébrant les jolies filles.

Passant allègrement du recueillement à la passion, et du sacré au profane, ou au frivole. Le chaâbi suscite une grande variété d’émotions. Des morceaux qui réchauffent le cœur en ces moments de troubles et de désorientation. L’usage des métaphores, la magie du verbe racontent autant la vie qu’une manière de vivre, sans choquer et sans gêner. Néanmoins, La Casbah continue de perdre chaque jour ses « douerate ». La cité va-t-elle retrouver une seconde vie un jour ? Peut-être, mais en attendant, la nostalgie refait surface quand le présent n’est pas à la hauteur du passé…

Sur le site du journal algérien El Watan

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