L’Émir Abdelkader. Apôtre de la fraternité de Mustapha Cherif Éditions Odile Jacob - Juin 2016

, par Mohammad Bakri


Editeur


Auteur(s) : Mustapha Cherif
Titre : L’Émir Abdelkader. Apôtre de la fraternité
Editeur : Éditions Odile Jacob
Parution : 20 janvier 2016
176 pages
145 x 220 mm
EAN13 : 9782738133625


Éditions Odile Jacob


Savant, guerrier, mystique, l’émir Abdelkader est un être hors du commun. Ayant tenu tête aux armées françaises de 1832 à 1847, il épouse le destin de l’Algérie indépendante tout en devenant un trait d’union entre l’Orient et l’Occident. Initiateur du droit humanitaire et fondateur d’un État moderne, pourfendeur du colonialisme mais ami de Napoléon III, défenseur d’un islam moderne et d’une spiritualité de la fraternité, il est une figure rare de l’ouverture aux autres, de la conciliation et du respect des religions.

C’est la vie de cet homme d’exception, de ce visionnaire magnanime, maître spirituel alliant rationalité et résistance, foi et réformes, que Mustapha Cherif nous invite ici à redécouvrir. Son œuvre et ses combats sont un modèle à méditer pour nos temps troublés. Loin des compromis sans consistance et plus loin encore des affrontements dans la violence, l’émir Abdelkader a perpétué l’héritage soufi de l’islam, la voie universelle du Prophète, de la juste mesure et du « bel-agir », sans exclusion aride ni concession facile. Plus que jamais, il est temps pour nous, hommes du XXIe siècle, de retrouver l’enseignement vivant de ce héros moderne.

Philosophe et islamologue, spécialiste du dialogue des cultu­res, des religions et des civilisations, Mustapha Cherif est professeur des universités et a été professeur invité au Collège de France. Lauréat du prix Unesco pour la culture arabe et le dialogue des cultures, il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont L’Islam, tolérant ou intolérant ?

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El Watan


07 juin 2017
K. Smail


« L’Emir Abdelkader appréciait la fraternité entre tous les humains, les ‘‘gens du livre’’ et les musulmans... »


Mustapha Cherif, penseur algérien de réputation internationale, professeur des universités, est philosophe et sociologue, spécialiste du dialogue des civilisations, auteur d’une quinzaine d’ouvrages sur les questions de culture et d’éducation, traduits en de nombreuses langues, lauréat du prix Unesco du dialogue des cultures et du prix italien Ducci pour la culture de la paix.

- Vous venez de publier un ouvrage intitulé L’Emir Abdelkader, apôtre de la fraternité, aux éditions Casbah, Alger, et aux éditions Odile Jacob, Paris. Le père de l’Etat algérien était-il un humaniste ?

C’était un humaniste, y compris lors de sa résistance patriotique. Les jeunes, les nouvelles générations doivent le découvrir et l’apprécier dans les différentes facettes de sa personnalité et la profondeur de son message. Notamment pour assurer le renouveau et se ressourcer en ce modèle, qui montre le vrai visage de la civilisation musulmane et arabo-berbère.

L’Emir Abdelkader l’Algérien, Ibn Mohieddine, (1808-1883), a été avant tout un maître spirituel, disciple de la voie du Prophète, le chef de la résistance algérienne (1830-1847) contre l’occupation française et le fondateur de l’Etat algérien moderne. Il incarne l’homme mohammadien, total, complet, universel, fils de son temps, produit de l’Algérie millénaire, dépassant les frontières. Il mettait l’accent sur l’éducation, la fraternité et la culture de la dignité. Il a précisé que le meilleur des hommes est celui qui est le plus utile à l’humanité.

Dans l’harmonie, il a été novateur, revivificateur au sein de la Nahda, un homme d’action, un penseur, un savant, un politique et un résistant héroïque et sage. Ses adversaires reconnaissent sa droiture, sa magnanimité et son intégrité. Il a défendu la patrie et l’humanisme universel. Son héritage multidimensionnel, une chance pour le monde entier, concerne l’éthique, la cité juste,en un mot la civilisation.

- ll prônait les valeurs cardinales universelles issues de l’islam… Dans son combat anticolonial français, l’Emir Abdelkader était le précurseur du droit humanitaire moderne…

L’Emir Abdelkader, l’Algérien, a mis en pratique les préceptes de l’islam en concordance avec des principes universels. La légitime défense, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la défense de la souveraineté et de l’indépendance nationales, il les a mis en œuvre en s’appuyant sur l’éthique léguée par le Prophète, fondée sur le respect de la dignité humaine, des non-belligérants, du droit des prisonniers et de l’ordre naturel.

Il s’opposait à la violence aveugle et à toutes les formes de sauvagerie, de barbarie et de vengeance. Pour cela, il a été le précurseur du droit humanitaire moderne. Il a mis au cœur de son combat et de sa vocation le souci de bâtir un monde juste. Sans utopie, il abordait la diversité des cultures et le vivre-ensemble comme un bienfait, arrimé au bien commun.

Une cause juste n’a pas besoin de dégénérer. En bon et véritable musulman, il fut le précurseur du droit humanitaire et du dialogue des civilisations, sachant que nos destins essentiels sont amis. Au bout de dix-sept ans de résistance patriotique, il a perdu le petit combat, mais il fut triomphant, car il a gagné le grand combat éthique, renforcé les bases de la conscience nationale, d’un Etat de droit moderne et semé les graines qui feront jaillir la Révolution de Novembre.

- L’Emir Abdelkader était-il en avance sur son temps. Un visionnaire…

L’Emir était incontestablement un visionnaire. Il a compris que l’avenir entre l’Orient et l’Occident sera juste et commun ou ne sera pas. Il voulait changer le regard déformé des uns sur les autres. Habité par l’idée qu’avec l’adoration de Dieu, servir son pays et l’humanité était le premier devoir.

Ce sont les exigences pour assurer le vivre-ensemble au sein des sociétés et au niveau mondial, prévenir et régler pacifiquement les conflits et respecter les commandements communs aux religions monothéistes et aux doctrines humanistes universelles. Telle était la vision cohérente de l’Emir Abdelkader l’Algérien.

Il représente un idéal concret et rationnel pour fonder la culture citoyenne et réapprendre aux jeunes à vivre ensemble dans le respect mutuel. L’Emir constatait avec amertume que l’Orient, comme l’Occident ne se dirigent pas vers la bonne direction. La tâche pour éclairer le monde et réconcilier les peuples est immense.

- Justement, vous soulignez que l’Emir Abdelkader a précédé le Mahatma Gandhi, Martin Luther King ou encore Nelson Mandela dans la promotion de la culture de la paix universelle…

En effet, il les a précédés et inspirés. Ces trois grandes figures du combat pour les droits humains et des peuples, directement ou indirectement, se sont, entre autres, inspirées de l’Emir. Sa doctrine était celle de la contre-violence et de la voie du juste milieu. Ce n’est pas du pacifisme, mais l’action ferme et stratégique de défendre la dignité humaine et d’œuvrer sur tous les plans afin que la paix soit juste et durable.

Il savait qu’il ne pouvait y avoir de paix sans justice et interconnaissance et que la liberté est le fondement de l’existence octroyée par le Divin. La coexistence, le respect du droit à la différence, de la diversité des cultures, des religions et la recherche de la symbiose, par le dialogue, passionnaient l’émir : « Si on venait me trouver celui qui veut connaître la voie de la vérité, je le conduirais sans peine jusqu’à la voie de la vérité, non en le poussant à adopter mes idées, mais en faisant apparaître la vérité à ses yeux... »

Il aimait les livres, le savoir et la connaissance, sachant qu’ils peuvent contribuer à la diffusion de la culture de la paix et à l’éducation vertueuse des jeunes : « Dès mon plus jeune âge, j’étais passionné par la découverte des livres des initiés, que je lisais avec attention…J’avais confiance en ce qu’ils disaient et en leurs intentions, persuadé que j’étais de leur parfaite éducation spirituelle et de leur nature vertueuse. »

Un de ses livres est intitulé Rappel au raisonnable et avis au distrait. Il était convaincu que dialoguer, s’entreconnaître, transmettre le savoir aux nouvelles générations et inspirer confiance par l’exemplarité étaient des tâches élevées, afin de conjuguer droits et devoirs, respect de soi et d’autrui, unité et diversité et modernité et authenticité. Son ouvrage majeur, Le livre des haltes, Mawâqif, montre son apport dans l’interprétation des questions fondamentales, telles sur le sens de l’existence, la théophanie et la fraternité humaine.

- L’évidence, c’est son acte de bravoure sauvant des chrétiens, femmes et enfants, d’un massacre, une expédition punitive, le 9 juillet 1860, à Damas (Syrie), où il avait été exilé…

Comme il l’a lui même souligné, par cet acte de bravoure, de portée mondiale et historique, en ligne droite de sa culture algérienne et universelle, il a agi au nom de sa religion et des droits humains. Fondé sur la fraternité universelle, son modèle était le Prophète, qui sacralise la vie humaine. Il portait sur le monde le regard d’un homme qui contemple Dieu dans sa création. De plus, il avait une vision géostratégique de la situation du monde musulman et internationale.

- Vous dites aussi que l’Emir Abdelkader avait montré la vraie nature de l’islam. Je vous cite : « Nous avons besoin de sa pensée…Où l’islam est mêlé malgré lui à des violences multiples… »

Les violences sous toutes les formes, qui s’amplifient aujourd’hui sur la scène internationale, ont surtout des causes géopolitiques et économiques. Elles sont injustifiables et contraires à toutes les valeurs spirituelles et humaines. Leur matrice idéologique, une contrefaçon mortifère de la religion, les alimentent et sert de diversion. Il faut discerner.

La religion est manipulée, déformée, utilisée comme un masque. L’Emir, par son humanisme spirituel et son sens de l’Etat, a montré le vrai visage de la voie mohammadienne. L’obscurantisme est l’anti-islam. L’Emir Abdelkader a dénoncé et combattu les extrémistes de tous bords. Il disait que l’idéologie fondamentaliste trahit l’islam et le matérialisme du libéralisme sauvage fourvoie les sociétés. Il critique les régimes despotiques et archaïques.

Il a pratiqué le légitime petit combat contre l’envahisseur et les oppresseurs, et le grand combat intérieur, salvateur, celui contre les passions, les pulsions destructrices, l’égoïsme, l’aveuglement et le fanatisme. Ce modèle est salutaire pour les jeunes de notre temps. La fonction historique et temporelle, que l’Emir n’a pas cherchée, il l’a assumée démocratiquement, avec droiture. Il ne convoitait ni la richesse, ni la puissance, ni le pouvoir. Son but était d’être à la hauteur de l’épreuve de l’existence, cherchant le Divin et le service de la patrie et de l’humanité, honorant la vie.

- L’avenir est-il à l’alliance des civilisations ?

La crise est mondiale, complexe, multiforme et permanente. Nous vivons une crise de fin de civilisation. Les défis sont communs à tous les peuples. Raison de plus pour redoubler d’efforts afin que les héritages civilisationnels, réinterprétés, s’unissent pour rechercher une nouvelle civilisation universelle commune. L’avenir est bien à l’alliance des civilisations, à une nouvelle pensée politique et à l’éducation interculturelle, pour faire reculer l’ignorance, la loi du plus fort, les injustices et les extrémismes.

Aux yeux de l’Emir, il faut éduquer à la reconnaissance du bienfait de la pluralité des voies, des races, des langues, des cultures, des savoirs, sources de l’esprit universel et humaniste du musulman. Il appréciait trois fraternités : celle entre tous les « humains », celle entre les « gens du livre », et celle entre les « musulmans » eux-mêmes. Ces fraternités convergent.

Sur le site du journal algérien El Watan

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