Et pour ce qui est de demain ? Cinq ans après la « révolution » du « printemps arabe »

, par Mohammad Bakri


26 janvier 2016
Par Yves Gonzalez-Quijano



Triste anniversaire des événements qui ont secoué le monde arabe il y a cinq ans. Pour ne pas faire le tour de la carte de la région, uniformément désespérante, on se contentera de rappeler que les deux pays qui symbolisaient l’espoir de changement, la Tunisie et l’Egypte, vivent aujourd’hui sous un couvre-feu, « légal » dans le premier cas, imposé de facto dans le second (voir le précédent billet).

Le constat ne date pas d’hier. Préparant ce billet, j’ai rouvert un texte écrit il y a tout juste deux ans et qui portait déjà sur les échecs du « printemps arabe », particulièrement visibles à travers sa patrimonialisation, au Caire en l’occurrence. Il s’agissait à l’époque d’évoquer un processus naissant, celui de la « muséification » des soulèvements, d’abord par les acteurs eux-mêmes en lutte pour leur survie politique, mais ensuite – et surtout – par la « contre-révolution » orchestrant à sa manière des commémorations aux allures de requiem (ou de chant du cygne si l’on préfère)…

On n’en est plus là aujourd’hui car ce sont plus seulement les événements de janvier 2011 auxquels on cherche à ôter toute dimension révolutionnaire en les faisant entrer dans le musée de la mémoire nationale. Provoquée par l’ampleur de la catastrophe arabe, une autre tendance se dessine, celle de la célébration d’un passé récent auquel on semble attacher d’autant plus de prix que tout le monde pressent désormais qu’il ne reviendra plus.

Comme souvent en pareil cas, le Liban lance un mouvement qui ne se limite pas à ce seul pays, si l’on en croit ce témoignage de Pierre Abi-Saab à propos d’une jeune cinéaste venue du Cairetout exprès pour l’événement. À savoir la sortie, au cinéma, d’une pièce présentée pour la première fois à Beyrouth il y a 38 ans, Bennesbe la bokra chou (بالنسبه لبكرا شو / Et pour ce qui est de demain ?) Le lecteur qui souhaitera en savoir plus trouvera dans cet article tous les détails sur le coup, assez malin, réussi par une jeune start-up numérique libanaise, M media.

En deux mots, il s’agit de la sortie sous forme de long-métrage de documents tournés à l’époque en super 8 par la sœur du metteur en scène d’une pièce restée jusqu’à présent dans l’histoire, et dans les mémoires, sous la seule forme d’enregistrements audio. On comprend mieux l’importance de « l’événement » en question si l’on précise que le metteur en scène n’est autre que Ziad Rahbani (voir – au moins ! – ces billets, à propos d’un concert à Damas en 2008 ou bien lors de ses déclarations à propos de « l’amour » que porterait sa mère, la diva Feirouz, pour le « sayyid » Nasrallah, un épisode en apparence mineur sur lequel Jean Aziz a écrit un article particulièrement pertinent).

Produit à la fin des années 1970, Bennesbé la bokra chou symbolise tout « Ziad », lequel symbolise toute une époque où les conflits faisaient déjà rage (mais au seul Liban, si on laisse de côté le « cas » palestinien). Ils opposaient alors non pas les sunnites aux chiites, ou bien les pro-saoudiens aux pro-iraniens, mais les « isolationnistes maronites » (volontiers pro-impérialistes) aux « islamo-progressistes » – plus tard labellisés « palestino-progressistes » – (en principe « socialisants » et de toute manière « arabistes », entendre partisans de l’unité arabe).

En dépit de ce contexte bien particulier, la pièce de Ziad, avec son humour, sa joie de vivre et même son « engagement » restent dans les mémoires comme un âge d’or pour lequel le public – âgé maintenant, bien entendu, mais aussi beaucoup plus jeune (voir cette petite vidéo de l’avant-première) – conserve manifestement une nostalgie dévorante. Bien loin de l’atténuer, les couleurs sépias des anciennes images éventuellement colorisées ne font qu’attiser l’engoûment du public du film qui se précipite dans les salles libanaises où la vieille pièce des années 70 est devenu un improbable succès.

À y regarder de plus près, Bennesbé la bokra chou ? était incontestablement très drôle, mais la pièce ne brillait pas par l’optimisme. Les dialogues, joyeusement désabusés, n’ont rien perdu de leur actualité et c’est peut-être ce qui explique leur succès. En attendant la révolution, la nostalgie est un produit qui se vend bien : M media prévoit déjà de sortir Film amriki tawil (فيلم أمريكي طويل / Long métrage américain).

Un trailer de Et pour ce qui est de demain ?



Lire le billet sur Culture et politique arabes

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