Enterre-moi, mon amour : Les nouvelles technologies au service de la société

, par Mohammad Bakri


ONORIENT


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Par Margaux Bonnet
28 janvier 2018


« Enterre-moi, mon amour »

Quand les développeurs aident la cause des réfugiés


Les nouvelles technologies au service de la société. Voici le projet ambitieux entrepris par Pierre Corbinais et Florent Maurin, les créateurs de l’application « Enterre-moi, mon amour » sortie le 26 octobre dernier.

Simuler le réel pour mieux l’appréhender

Florent Maurin, président de ThePixelHunt, utilise les concepts nouveaux de « jeux du réel » et « jeu d’influence » pour décrire ses productions. Journaliste de formation, il fait des jeux vidéo et de leur nature interactive un medium privilégié afin de mieux comprendre le réel par son expérimentation.

J’ai été journaliste pendant 10 ans avant de commencer à faire des jeux vidéo. Le réel m’intéresse, on y trouve des milliers de bonnes histoires qui, traduites en jeu, peuvent devenir des expériences qui marquent. Mon propos, c’est que le jeu vidéo est un médium qui peut, comme tous les autres, servir à décrire, commenter et critiquer le monde.

Après avoir traité divers sujets contemporains et historiques (la communication de crise dans Jeux d’Influences ou la conservation du musée du Louvre pendant la Seconde Guerre mondiale dans Sauvons le Louvre), c’est « naturellement » que Florent Maurin a souhaité aborder la question des réfugiés syriens et de leur périple pour fuir la guerre.

Sa lecture d’un article du Monde, « Le Voyage d’une migrante syrienne à travers son fil WhatsApp », a été « une révélation ». La journaliste Lucie Soullier y raconte sa rencontre avec une jeune Damascène Dash (Dana S.) et son beau-frère Kholio, en Grèce, une étape sur le chemin de leur exil vers l’Allemagne. En publiant la conversation WhatsApp que le duo entretient avec leur famille, elle offre aux lecteurs la possibilité de suivre l’évolution de leur voyage, mais aussi les émotions, les doutes, les dilemmes et toutes les difficultés auxquels les migrants sont généralement confrontés.

La lecture de cet article est d’autant plus troublante que les échanges s’effectuent via une application familière dont on ne soupçonne pas l’usage décisif dans de telle situation.

Cet article a été la principale inspiration pour ‘Enterre-moi mon amour’ (EMMA). Lucie Soullier et Dana S., la jeune femme dont l’histoire est racontée, sont devenues consultantes pour nous aider sur le projet à être le plus réaliste et fidèle possible aux faits.

L’équipe de Figs a accepté de s’occuper du graphisme et de coproduire le jeu, rejoint quelques mois plus tard par ARTE. EMMA pouvait voir le jour.

Partager l’expérience d’une migrante syrienne en chemin vers l’Europe

« Enterre-moi, mon amour » est une manière de dire au revoir à un être cher en Syrie, en lui enjoignant de ne pas mourir le premier. Ce sont les mots qu’adresse Majd à sa femme Nour lorsque cette dernière quitte Homs pour trouver asile en Allemagne. Le jeu nous propose de prendre la place de Majd, resté en Syrie pour s’occuper de ses parents, et de suivre Nour par messagerie instantanée pour la soutenir et la conseiller tout au long de son voyage :

« Majd, il n’y a pas de bus avant demain 5h.

– Et l’avion est à quelle heure ?

– 10h15. »

Pensez-vous que Nour doit attendre le bus pour tenter de prendre son avion ? Ou lui conseillerez-vous une solution alternative ? Car de votre réponse dépendra le trajet emprunté et la réussite de sa quête de l’asile.

Dans cet univers à l’esthétique graphique et musical réussi, les faits sont plausibles et les échanges réalistes, faits d’humour, de sauts d’humeur, de références à des souvenirs fictifs, comme à des éléments de notre actualité. Pour illustrer la diversité des parcours des migrants, l’équipe a imaginé 19 fins différentes : si le joueur peut être frustré de ne pas toujours intervenir dans le choix des réponses de Majd, le revirement de scénario déclenché par certaines réponses rend plus engageant chaque décision.

Pour les plus patients souhaitant aller encore plus loin dans l’expérience, une option permet de recevoir des notifications en temps réel : si vous ne recevez pas de message de Nour une journée durant, votre conseil l’a peut-être conduite à être incarcérée dans une prison égyptienne ou à faire confiance au mauvais passeur. Vous ressentirez alors peut-être 1% de la culpabilité d’un mari tentant, à plusieurs milliers de kilomètres, d’aider sa femme à survivre à tout ça.

« Pendant six mois, nous nous sommes documentés en lisant des centaines d’articles et interviews, en regardant des documentaires, en surfant sur des groupes Facebook… Nous sommes aussi allés à la rencontre de réfugiés, notamment via des associations – j’ai par exemple visité le centre d’accueil de la porte de la Chapelle. Avec tous ces moyens, nous avons identifié les principaux lieux visités, trouvé des chiffres, isolé des dizaines d’anecdotes… et ce sont toutes ces informations qui ont guidé l’écriture des 110.000 mots qui composent EMMA. »

Un concept prometteur pour un public déjà acquis ?

A la lecture des statistiques transmises par ThePixelHunt, les joueurs actuels se situent en grande majorité dans les pays d’accueil des réfugiés : une bonne chose pour développer l’empathie et combattre l’hostilité croissante des Européens à leur égard. Néanmoins, l’application atteint une cible jeune et connectée, à même d’en entendre parler et de la tester. N’est-ce pas la population la plus informée et sensibilisée à la question des réfugiés ? Ces personnes sont-elles encore à conscientiser ?

« Nous n’avons pas énormément d’informations sur les joueurs. Pour ce qui est de leur rapport aux migrants, je dirais que c’est variable. Dans certains retours que l’on reçoit, on sent bien qu’il s’agit de gens déjà émus par les histoires qu’ils ont lues dans la presse. Mais pour d’autres, c’est une découverte – voire, parfois, une révélation ! »

EMMA est assurément un outil pédagogique innovant et prometteur. Cette première réalisation mériterait de continuer à évoluer pour gagner en interactivité et en complexité. Dans une pure démarche d’apprentissage et non de divertissement – ce qui serait insupportable au vu de la gravité de la réalité convoquée – un joueur davantage impliqué expérimenterait, de façon encore plus réaliste, les grands périls qui attendent les réfugiés sur la route de l’exil. Il s’agirait alors de réfléchir aux moyens d’assurer une diffusion élargie, ciblant les populations les moins acquises et dont l’éveil des consciences devient urgent.

Lire l’article sur le site ONORIENT

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