Eexposition - Al Musiqa. Voix et musique du Monde arabe Du 6 avril au 19 août 2018 - Philharmonie de Paris

, par Mohammad Bakri


Soulignant le caractère central que revêt la musique au sein des sociétés arabes, l’exposition Al Musiqa se veut surtout un manifeste pour la sauvegarde d’un patrimoine culturel aujourd’hui en danger, en même temps qu’un témoignage de l’exceptionnelle vitalité de la création musicale contemporaine dans le monde arabe.

Pour la première fois en France, la Philharmonie propose une exposition d’envergure consacrée aux musiques du monde arabe.



Entièrement bilingue en français et arabe, l’exposition se veut un pont vers entre les cultures et les langues pour favoriser une meilleure compréhension de cet héritage, découvrir ou approfondir ses connaissances.

Accessible aux enfants à partir de 5 ans, elle proposera un parcours enfants, constitué d’un ensemble de dispositifs ludiques et interactifs.

Deux week-ends de concerts, des rencontres, des activités et visites sont également prévus.

Al Musiqa

الموسيقى في العالم العربي

Pour la première fois en France, la Philharmonie de Paris présente une exposition dédiée aux musiques arabes, célébrant à la fois la richesse d’un patrimoine ancien méconnu et l’intense créativité d’artistes issus des vingt-deux pays qui forment aujourd’hui le monde arabe.

Un grand voyage musical

Al Musiqa invite à un voyage visuel et sonore allant de l’Arabie Heureuse de la reine de Saba jusqu’à l’Andalousie du grand musicien Zyriab, de la période préislamique, en passant par l’âge d’or égyptien de la diva Oum Kalsoum, jusqu’à la scène pop, rap ou électro, sortie dans les rues depuis les révolutions arabes.

Conçue comme une vaste exploration de formes musicales à la fois traditionnelles et contemporaines, mystiques et profanes, populaires et savantes, l’exposition propose de traverser des paysages immersifs comme le désert du Hedjaz, le jardin andalou, le cinéma égyptien, la zaouïa africaine, le café oranais, le salon oriental-occidental.


يوجّه هذا المعرض دعوةً للزائر للخوض في رحلةٍ سمعية بصرية من عصر الجاهلية إلى يومنا هذا، مرورا بزرياب في الأندلس والعصر الذهبي للموسيقى المصرية مع كوكب الشرق أم كلثوم، وصولا للموسيقى الالكترونية والبوب والراب التي نزلت إلى الشوارع إبّان الثورات العربية.

Une exposition interactive

Afin de faciliter son appropriation par tous les publics, Al Musiqa s’ouvre sur une grande madrassa – littéralement « lieu où l’on apprend ». Elle propose au visiteur des repères pour mieux déconstruire des clichés, découvrir ou approfondir ses connaissances à l’aide de nombreux dispositifs ludiques et interactifs. Le visiteur peut ainsi apprendre à écrire son nom à l’aide d’un qalam numérique ou découvrir le timbre du oud et de la derbouka. Rendant hommage à la beauté de la calligraphie et de la langue arabes, l’exposition est entièrement bilingue.


صُمِّم المعرض على أنه رحلة استكشافية واسعة للأنماط الموسيقية في العالم العربي، التراثية منها أو المعاصرة، الدينية أو الدنيوية، الشعبية أو الراقية؛ وذلك بفضل ديكورات تجعل الزائر ينغمس في جو الصحراء، أو في رحاب حديقة أندلسية أو في إحدى دور السينما بمصر أو زاوية من زوايا التصوّف الأفريقية، أو مقهى في حي بَربيس بباريس، أو في وسط ساحة عامة مكتظة بالمارّة في عاصمة من العواصم العربية


Les œuvres rassemblées permettent de découvrir de riches collections publiques et privées situées en Orient et en Occident : instruments de musique, calligraphies, miniatures persanes, peintures et photographies. Des carnets de voyage, bandes dessinées, affiches de cinéma, pochettes de disques, films culte et archives sonores rares viennent également compléter ce corpus exceptionnel.


وأخيرا تسمح التحف الاستثنائية المعروضة بالتعرّف على ثراء مقتنيات المجموعات العامة والخاصة في الشرق والغرب، من آلات موسيقية ومنمنمات ولوحات وصور فوتوغرافية، إلى جانب التركيبات الفنية والرسوم المتحركة والملصقات الإعلانية وأغلفة الاسطوانات والأفلام الشهيرة والتسجيلات الصوتية النادرة.

Une expérience festive à partager

Dans le désert, sous la tente, dans le jardin d’un palais ou au cinéma égyptien, les petits et les grands pourront écouter des contes, s’initier à la danse orientale, dessiner un chameau, écrire leur nom en arabe, construire un palais et faire résonner certains instruments. Une expérience à partager en famille.

Commissaire : Véronique Rieffel


En savoir plus sur le site de la Philharmonie de Paris

Plus de détails sur l’exposition Al Musiqa

Le programme de l’exposition Al Musiqa

Visite libre de l’exposition Al Musiqa

Al Musiqa du CM1 à la Terminale étudiant


Deux week-ends autour de lʼexposition

DU 6 AU 8 AVRIL 2018 : Du oud au jazz et aux scènes urbaines, un voyage accompagnant l’exposition Al Musiqa au Musée de la musique.

DU 11 AU 13 MAI 2018 : Suite du voyage musical en terres arabes : Alep en 1930, les gnawas du Maroc et, surtout, les grandes voix de la chanson.


Journées portes ouvertes enseignants

La Philharmonie propose aux enseignants de l’Éducation nationale et professeurs de conservatoire ou d’école de musique des journées Portes ouvertes les Mercredi 11 avril à partir de 12h et vendredi 13 avril de 12h à 20h, sur les expositions afin qu’ils puissent découvrir gratuitement les thématiques avant de revenir avec leur classe. Inscription obligatoire.

En savoir plus et s’inscrire


Partenaires culturels

Institut du monde arabe
Parallèlement à l’exposition de la Philharmonie, l’Institut du monde arabe présente un cycle de concerts et de conférences, ainsi que l’exposition L’Épopée du Canal de Suez (du 28 mars au 5 août 2018).

Cabaret sauvage
Pendant le temps de l’exposition de la Philharmonie, le Cabaret sauvage propose une série de concerts consacrés aux musiques arabes.




El Watan

06 juillet 2018
Culture
Nadia Agsous

Al Musiqa ou les musiques et voix des pays arabes : splendeur et éclectisme

La Philharmonie de Paris célèbre les voix et les courants musicaux du monde arabe sur une période de plus de quinze siècles. Vidéos, photographies, instruments de musique, extraits de films, affiches, dispositifs éducatifs, ludiques et interactifs, ambiance sonores immersives et costumes de scène rendent compte de la richesse du patrimoine musical de cette contrée du monde. L’exposition est visible jusqu’au 19 août.

Structurée en deux parties, l’exposition Al Musiqa propose un parcours historique à travers les univers, les cultures, les répertoires et les pratiques musicales arabes, de l’époque de la Jahiliya (ignorance), période préislamique, aux scènes contemporaines des capitales arabes. Le terme musique est employé au pluriel, car l’exposition met en lumière la diversité et la vitalité des pratiques poétiques et musicales ancestrales et contemporaines, profanes et sacrées, populaires et savantes, des sociétés ayant la langue arabe comme point commun.

De la poésie chantée bédouine à la qasida, poésie classique

Immersion dans le désert d’Arabie. Sur un écran géant, une procession de chameaux avance sur le sable. A l’époque préislamique, la vie culturelle est dense. La poésie est l’expression littéraire en vogue. Les qayna, les esclaves chanteuses et courtisanes chantent, récitent des poèmes, animent des cérémonies festives.

Les chameliers déclament des poèmes chantés (huda) suivant les pas rythmés des chameaux. Les jeunes bédouins pratiquent le nasb, art musical oral. Dans les villes, la qasida, genre poétique de nature savante, est très prisée. Ces longs poèmes composés d’une seule rime et de plusieurs vers sont déclamés ou chantés.

Les pratiques mélodiques de l’islam

Arrivée de l’islam. Les pratiques musicales sont de nature religieuse : célébration de la naissance du prophète (Mawlid Ennaboui), pèlerinage à la Mecque… La psalmodie du Coran (Tajwid) et l’appel à la prière (al adhan) lancé par le muezzin (mu’adhdhin) aux fidèles, sont les pratiques mélodiques de l’islam. Bilal ibn Rabah est le premier muezzin à avoir fait l’appel à la prière à Médine, dans la mosquée de Quba. Ce moment historique est mis en scène à travers le film Le message (1977) du réalisateur syrien, Moustapha Akkad.

La musique de cour et la musique arabo-andalouse

Période des Omeyyades. Damas est sacrée capitale des arts et de la culture. Cette société de jouissance porte aux nues les poètes et les musiciens. La musique est pratiquée par les esclaves et les hommes libres.

Lorsque les Abbassides prennent le pouvoir, Bagdad devient la capitale des arts, de la vie intellectuelle et musicale. Ibrahim et Ishaq Al Mawsili (père et fils) sont les musiciens représentatifs de cette période.

La musique arabo-andalouse est célébrée à travers un dispositif évoquant le musicien Zyriab (Abu Hassan Ali ben Nafi – 789- 857), créateur de la Nouba, une suite instrumentale et chantée. Il a aussi transposé le chant grégorien dans le malouf (musique arabo-andalouse en Algérie, Tunisie et Libye) et le melhoun (poésie populaire écrite en arabe maghrébin).

Les musiques mystiques : rythme hypnotique, recueillement et méditation
Cette section met en lumière les pratiques poétiques et musicales des soufis en Afrique du Nord et en Afrique sub-saharienne.

Le Samâ (l’audition mystique et spirituelle), « récitation chantée des poésies mystiques par les maîtres soufis », est une pratique collective ayant lieu dans une zaouia, espace dédié à la prière et au recueillement où les membres de la confrérie s’adonnent à la pratique du zikr (évocation des noms de Dieu).

Deux vidéos reconstituent l’ambiance des cérémonies mystiques : La lila de derbeka (La nuit de la possession), réalisée par Franck Cassenti en Tunisie et La dernière danse, du réalisateur-photographe, Augustin Le Gall.

La musique arabe au XIXe et XXe siècles : l’Egypte, « oum edounia » (« mère du monde »)

L’Egypte, Centre cultureldu monde arabe. La musique prend son élan grâce au compositeur égyptien Mohamed Uthmän et le chanteur Abul Al Hamûli. Le Caire et Alexandrie sont au sommet de leur gloire. La musique est omniprésente, dans le théâtre et le cinéma.

Une galerie de tableaux réalisée par l’artiste égyptien, Chant Avedissian, (Icons of the Nile -1991-2010), met en scène des portraits de chanteurs, chanteuses, comédiens et comédiennes emblématiques de cette période : Abd El Halim Hafez, Farid El Atrache, Ismahane, Leïla Mourad… Le visiteur peut admirer les belles robes d’Oum Khaltoum, la diva de la chanson égyptienne.

Les musiques de l’exil : de la Seconde Guerre mondiale aux années 2000

La première génération est constituée d’hommes d’origine paysanne, notamment, et ouvriers. Ils sont musulmans, juifs, arabophones, Kabyles. Musiciens pour certains, chanteurs pour la grande majorité, ils se produisent dans des cabarets orientaux créés à partir de 1920, dans le quartier de Saint-Michel (Tam Tam, El-Djazaïr, Casbah…). Abdelhamid Ababsa, Missoum Chérif, Slimane Azem, Kamel Hammadi, Chérif Kheddam, H’nifa, Salim Halali, Warda, Bahia Farah sont les artistes représentatifs de cette première génération.

A partir des années soixante, ils investissent les cafés, lieux de rassemblement, de rencontre, de loisirs, de détente, de ressourcement et de découverte des talents. Les thématiques des chansons sont liées à l’exil : nostalgie, vie d’ouvrier et d’exilé, errance, séparation… Affiches, photos, vidéos, un scopitone des années 1970, tables en formica, jeux de dominos reconstituent l’ambiance caractéristique de ces cafés.

Années 1980. Renouvellement de la musique raï (en arabe : opinion). La génération des chebs fait son apparition. Cheb Khaled et cheb Mami sont représentatifs de la deuxième génération.

Les « révolutions », internet, les réseaux sociaux et la musique…

Capitales arabes aux lendemains des mouvements de contestation. De nouveaux styles musicaux font leur apparition. Inspirées des musiques du patrimoine arabe et des sonorités occidentales, ces musiques de type engagé sont enregistrées dans des « home studios » (studios à la maison) et diffusées sur internet et les réseaux sociaux. Les chaînes satellitaires aident à la diffusion des nouveaux styles musicaux.

La jeunesse joue un rôle important dans la création et la diffusion de ces musiques underground telles que le néo-dabké d’Omar Souleiman, le pop-rock du groupe libanais, Mashrou Leila, (le projet d’une nuit en arabe), l’électro-chaâbi de l’Egyptien Islam Chipsy, la danse « mahragan » (festival), version électronique de la musique chaâbi. Né dans les quartiers pauvres du Caire, ce genre de musique aux sonorités très rythmées s’est répandu dans tous les milieux cairotes.

Dans cette grande salle, les visiteurs sont invités à se poser sur des banquettes pour écouter les musiques post « révolutions arabes ». Dans cet espace qui reconstitue l’effervescence des révoltes populaires, une photo attire le regard. M. Anis est assis sur un lit déchiqueté, dans une chambre ravagée par une explosion. Autour de lui, la vie s’est éteinte. M. Anis fume la pipe. Son regard absent est posé sur un gramophone qui diffuse de la musique.

La musique ! C’est ce qui reste à M. Anis dans ce monde déshumanisé. La musique est sa consolation. C’est sa lueur d’espoir. C’est sa résilience. C’est la musique qui lui permettra de faire renaître la vie des cendres qui jonchent le sol de cette chambre qui prend l’allure d’un champ après la bataille.

Si pour Aristolte, « la musique adoucit les mœurs », dans le cas de l’exposition Al Musiqa, la musique est créatrice de lien entre les peuples. En effet, c’est par le prisme de la musique que la Philharmonie s’est lancé le défi de montrer la richesse et la diversité du patrimoine musical des sociétés arabes.

Tout au long de l’exposition qui s’adresse à tout type de public, l’œil se délecte, l’oreille capte les sons musicaux variés et harmonieux qui se dégagent de chaque section. La musique devient ainsi un objet médiateur dont l’objectif est « de montrer tout le potentiel mais aussi l’urgence de changer de point de vue » à l’égard de ces sociétés qui nous paraissent étrangères, étranges, lointaines mais ô combien familières et proches.

Sur le site du journal algérien El Watan

El Watan accueil

El Watan

Le quotidien El Watan a été lancé le 8 octobre 1990, dans le sillage des réformes politiques, par vingt journalistes regroupés dans la SPA El Watan. Premier journal indépendant du matin à être édité en Algérie, il a basé sa ligne éditoriale sur un traitement objectif de l’information, en développant des analyses pertinentes, une vérification rigoureuse des informations publiées et un souci constant d’ouverture à l’ensemble des sensibilités politiques du pays, notamment celle de l’opposition démocratique. En savoir plus.



Les clés du Moyen-Orient


Les clés du Moyen-Orient
Par Benoît Berthelier
Article publié le 06/07/2018


Compte rendu de l’exposition « Al Musiqa, voix et musiques du monde arabe », Philharmonie de Paris, 6 avril – 29 août 2018


Au XIXe siècle, de grands compositeurs comme Saint-Saëns ou Liszt, orientalistes symphoniques, ont popularisé l’usage de rythmes irréguliers, le plus souvent enlevés, et de gammes dites « orientales », ayant pour but d’introduire dans la musique européenne de la fin du siècle quelques bouffées d’exotisme factice. L’oreille en Occident s’est ainsi accoutumée à certains motifs qu’elle reconnaît comme « orientaux », et qui par là esquissent la trame d’une géographie musicale structurée par des lieux communs, non points visuels mais sonores. En proposant de voyager par-delà ces derniers, l’exposition Al Musiqa, qui se tient à la Philharmonie de Paris du 6 avril au 19 août 2018, ouvre les portes de territoires multiples et moins bien connus : les voix et musiques du monde arabe.

Une mosaïque de paysages musicaux

Rompant avec les monographies principalement occidentales de ses dernières expositions (Beethoven, Chagall, Boulez, Barbara, The Velvet Underground), la Philharmonie de Paris a choisi de traverser les siècles et les continents pour reconstituer le panorama complexe et foisonnant des musiques arabes. Fait assez marquant pour être noté, Al Musiqa est ainsi la première exposition en Europe entièrement dédiée aux musiques du monde arabe, de la période préislamique à nos jours. Ce grand voyage se déploie au travers d’un dialogue constant entre œuvres anciennes et œuvres contemporaines d’artistes issus de pays arabes. L’approche de l’exposition est en effet résolument « multi-sensorielle » et entend mettre le spectateur « à l’écoute » aussi bien d’extraits musicaux et d’instruments de musique que de compositions picturales, de photographies, de films, d’objets d’art ou encore d’installations hybrides alliant la technologie aux arts graphiques.

L’esprit d’accueil et de décloisonnement propre à Al Musiqa a été porté par deux femmes, Véronique Rieffel, commissaire de l’exposition, et Matali Crasset, en charge de la scénographie. Véronique Rieffel, ancienne directrice de l’Institut des Cultures d’Islam (ICI) à Paris, puis de l’Institut français d’Égypte à Alexandrie, a su mettre à profit sa connaissance des mondes de l’art arabo-musulmans pour cette exposition et la compléter par un nécessaire catalogue, à la fois riche et séduisant. Le choix de Matali Crasset pour la scénographie s’inscrit également dans cette logique d’ouverture et d’accueil, l’exposition étant davantage conçue comme un parcours introductif ouvrant de multiples pistes que comme un panorama exhaustif d’érudition musicologique. Designer industriel de formation, Matali Crasset est en effet réputée pour ses créations à l’identité souple et légère, très adaptées à la mise en place de dispositifs de transmission, de formation ou d’innovation sociale. Ainsi l’exposition invite-t-elle à « traverser des paysages immersifs comme le désert d’Arabie, un jardin andalou, un cinéma égyptien, une zaouïa africaine, un café de Barbès et la place trépidante d’une grande capitale arabe » (1). Il s’agit de suggérer des « atmosphères », de susciter des « ambiances », au croisement du visuel et du sonore. Le visiteur est ainsi muni d’un casque audio qu’il peut brancher comme il le souhaite en divers points stratégiques du parcours pour écouter un poème mystique, un chant de fillette au travail, un air de raï. Certains espaces sont aménagés pour les enfants et les familles, ce qui donne également à l’exposition un aspect ludique et décontracté.

A cette logique d’accueil se superposent deux autres logiques qui traversent le projet de l’exposition : une logique de dialogue d’une part, et une logique d’hommage d’autre part. La logique de dialogue se traduit par une volonté affichée de dépasser la double aporie de l’orientalisme colonialiste et de l’absolutisation d’une altérité irréductible de l’Orient et des mondes arabes. Comme le dit Véronique Rieffel, il s’agit de faire entendre ces voix arabes en tant qu’elles peuplent un « voisinage familier » (2). Ce penchant théorique pour le métissage et l’interculturalité se traduit également dans les cartels, les titres de salle et leurs explications, à la fois rédigés en arabe et en français. La logique d’hommage quant à elle donne un autre sens aux espaces de l’exposition. La tonnelle andalouse ou le café de Barbès ne sont pas seulement des vignettes reproduisant l’ancrage propre à une ambiance sonore déterminée mais aussi les manifestes d’une culture peu connue, fragile, souvent menacée, et pourtant vivante et riche. La monumentale œuvre de Chant Avedissian intitulée « Icons of the Nile » (1991-2010), prêtée par le Mathaf (Musée d’Art Moderne du Qatar), mur de portraits au pochoirs rappelant les grandes heures de l’Égypte des années 1950, s’inscrit parfaitement dans cette dimension. Y répond un mur d’instruments arabes traditionnels, tout aussi impressionnant, où figurent en bonne place le oud et la darbouka.

La musique et le sacré

L’exposition s’ouvre sur le silence des espaces désertiques. De ce silence émerge une langue, elle-même déjà musicale et une poésie, souvent chantée ou psalmodiée. Sont ainsi évoqués l’art vocal des chameliers et leur mélopées (huda), dont le rythme, dit-on, suivait le pas du chameau, mais aussi les chants des jeunes bédouins (nasb) et les multiples liens historiques et mythologiques entre désert et musique. La poésie préislamique est quant à elle présente à travers la récitation de mu’allaqat (« suspendues », une forme poétique très prisée), traditionnellement chantés à la cour par les belles qaynats, esclaves musiciennes venues de Perse ou d’Éthiopie, qui s’accompagnent d’instruments à cordes ou d’un tambourin. La qayna, proche du pouvoir, est ainsi un véritable « répertoire vivant de la poésie arabe préislamique ».

L’exposition souligne donc avec force que la musique arabe ne se limite pas à une musique strictement religieuse et, réciproquement, qu’elle ne se tarit pas avec la naissance de l’islam. La méfiance rigoriste de certains chefs religieux vis-à-vis de la musique est rappelée mais vite remise en perspective par la description du caractère mélodique de certaines pratiques religieuses musulmanes : l’appel à la prière (al-adhan), qui peut devenir un art vocal particulièrement complexe en fonction de l’intensité, du souffle et des capacités musicales du muezzin, la cantillation coranique (tajwid), ainsi que les chants accompagnant certaines fêtes religieuses ou le trajet des pèlerins se rendant à La Mecque. Plutôt que d’interdire la musique, l’islam chercherait en effet davantage la « spiritualisation de sa perception » (3). Cela est tout à fait sensible dans les chants dévotionnels soufis et dans le sama’. Proche de la transe, cette écoute spirituelle de recueils de poésies mystiques chantés, généralement pratiquée dans la sainte zaouïa, est réservée aux initiés.

Musique, culture et politique

Dans ce que nous voyons comme un second moment, l’exposition s’attache à cerner les rapports de la musique, de la culture et de la politique. Le « jardin andalou » stylisé de l’exposition fait ainsi une large place à la musique de cour arabe et arabo-andalouse. Dans une société de cour avide de plaisirs, la musique accompagne banquets et scènes de chasse, comme en témoigne la très belle iconographie rassemblée sur le sujet. Sous les Omeyyades puis les Abbassides, la pratique musicale s’ouvre à d’autres acteurs que les qaynats, les hommes libres notamment : la vie culturelle et particulièrement musicale connaît une expansion considérable. De nouveaux savoirs sont accumulés, notamment par la traduction et la réappropriation par les savants arabes de traités de musique grecs, à l’initiative du calife abbasside Ma’mun. Des débats théoriques sont ouverts - ainsi la véritable « querelle des Anciens et des Modernes » portée par Ibrahim et Ishaq al-Mawsili ; de nouvelles influences sont incorporées - des influences indo-persanes notamment. Le cas singulier de la musique d’Al Andalus est également évoqué à travers le personnage de Ziriab, fondateur d’une école de musique rayonnante à Cordoue, inventeur de la nouba (« attendre son tour », une suite chantée et instrumentale caractéristique de l’époque), et pionnier dans l’introduction du oud à cinq cordes. Les métissages successifs propres à la musique arabo-andalouses sont très rapidement suggérés mais peu illustrés : il faut pour en savoir plus se reporter au catalogue. Même constat pour les aspects théoriques de la musique arabe qui sont assez peu évoqués : manquent ainsi une présentation du système modal (le fameux Maqâm, présent dans un document iconographique toutefois), de la tonalité mais aussi des questions de notation de la musique (liées aux enjeux de conservation et de transmission), notamment dans leur rapport au monde occidental. On touche ici peut-être le point aveugle de l’exposition : la musique dite « savante » - mais sans doute est-ce là un concept très « occidental » et trop éloigné de l’objectif premier de « décloisonnement » propre à l’exposition. Notons toutefois que le titre de cette dernière, «  Al Musiqa », connote précisément cet aspect « savant » de la musique. A l’inverse de « ghina » (chant) ou « sawt » (voix), le mot est une transposition arabe du grec et renvoie en effet d’abord à la théorie et à l’analyse musicales, qui ne sont présentes qu’en filigrane dans l’exposition.

Les liens de la musique et de la politique sont également décrits à partir du cas exemplaire de l’Égypte des XIXe et XXe siècles. Remettant l’effervescence musicale égyptienne de cette époque dans le contexte de la Nahda (renaissance politique et culturelle arabe), l’exposition rappelle tour à tour l’importance de l’inauguration de l’opéra du Caire en 1869, la même année que le canal de Suez, le tournant que constitue le Congrès de musique arabe de 1932, à l’occasion duquel est d’ailleurs introduite l’expression de « musique arabe », et enfin le rôle du cinéma dans l’Égypte des années 1930, véritable passage obligé pour les grands noms de la chanson comme Abdel Halim Hafez ou encore la grande Oum Kalthoum. L’installation de La Mirza et Rayess Bek intitulée « Love and Revenge » (2009), hommage insolite à cette période mythique, offre une superposition intéressante d’images de films égyptiens et de remixes de variété moyen-orientale du XXe siècle.

Exils de la musique : tradition et modernité

La dernière partie de l’exposition est consacrée aux « musiques de l’exil » dans l’immigration et aux métissages de la tradition et de la modernité musicales dans les mondes arabes contemporains. Quelques pochettes de disques, jonchant les tables d’un café de Barbès, évoquent la grande vitalité de la création en exil dans le Paris d’après-guerre, en particulier dans les cabarets du quartier latin : El-Djazaïr rue de la Huchette, El-Koutoubia rue des Écoles ou encore le fameux Cabaret Tam-Tam (Tunisie-Algérie-Maroc : T-A-M) rue Saint-Séverin. Cette musique des cabarets n’est plus seulement communautaire mais s’ouvre à un public plus large. A partir de 1981, l’apparition de radios libres comme Radio Soleil, Radio Beur ou Radio Orient, accentuera encore ce décloisonnement, de même que certaines initiatives locales plus tardives comme l’Orchestre National de Barbès. Dans les années 1990, certains chanteurs arabes se font ainsi une place de choix dans le panthéon musical français : Cheb Mami (chantant en duo avec Sting) ou Natacha Atlas se retrouvent en tête des ventes. Une large place est également faite au raï (opinion), genre populaire né dans la région d’Oran au début du XXe siècle, auquel des artistes comme Cheikha Remitti donnent ses lettres de noblesse. Le raï est alors avant tout une forme de liberté de parole, entre critique des difficultés de la vie moderne et remise en cause des tabous sociaux algériens. Connaissant un certain succès en France dans les années 1980 et 1990, le raï se renouvelle à travers l’émergence d’une génération de chanteurs comme Khaled, influencés par la pop, le rock ou le reggae occidentaux. Ces emprunts occidentaux se diversifient et se complexifient au XXIe siècle où fleurissent des genres nouveaux comme la néo-dabké et l’électro-chaâbi par exemple, qui prennent beaucoup d’ampleur pendant les printemps arabes en 2011 par le biais d’Internet et des réseaux sociaux.

Titrée « Arabia remix », la dernière salle de l’exposition est à l’image des lampes traditionnelles en canettes de fer blanc recyclées qui en éclairent l’espace. Perchées au dessus du tumulte urbain, mimant la suspension poétique d’un destin déboussolé qui allie singulièrement le neuf à l’ancien, la modernité à la tradition, ces lueurs fragiles et somptueuses invitent à méditer le parcours millénaire esquissé par Al Musiqa. Des nombreux thèmes abordés, on pourra retenir la portée capitale de ceux-ci : le rapport des femmes à la musique et le rôle qu’elles peuvent y jouer (qu’elles soient qayna, Cheikha Remitti, Oum Kalthoum ou Fairuz), les liens de la musique et de l’arabité, voire du panarabisme, et, plus généralement, de la modernité arabe (illustré dans l’exposition par le cas égyptien), les rapports complexes de la musique et de la politique, et peut-être plus fondamentalement, le rapport de la musique à l’humain. La photographie de « Monsieur Anis » dans sa chambre détruite d’Alep, prise par Joseph Eid en mars 2017, qui clôt l’exposition, y insiste tout particulièrement. Quoi de mieux en effet que la paisible tristesse de ce vieux gramophone épargné par la guerre pour illustrer cette absurdité proprement humaine, cette vanité sublime : écouter de la musique ?

En dépit de la difficulté qu’il peut y avoir à réaliser une exposition dont le cœur n’est pas l’image mais le son, Al Musiqa parvient à déployer agréablement un propos clair et riche, qui n’est par ailleurs pas anodin dans le contexte politique national et international actuel. Les trois logiques propres à l’exposition que nous avons décrites : accueil, dialogue et hommage sont toutes fondées sur une même condition d’écoute, au double sens de ce terme, qui est la métaphore sociopolitique structurante de Al Musiqa, mais aussi plus généralement de la Philharmonie et de son ambition d’ouverture sociale (4). Soutenue par une scénographie souple et vivante, Al Musiqa entraîne ainsi sans peine le visiteur dans les détours sinueux d’une mosaïque saisissante qui, accumulant les sons, les œuvres et les perspectives - parfois jusqu’à l’hétéroclite, réussit cet exploit d’incarner les voix et les musiques du monde arabe, d’ouvrir l’espace pluriel, polyphonique, d’une écoute, et peut-être d’une entente nouvelles.

Al Musiqa, voix et musiques du monde arabe. 6 avril – 19 août 2018. Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean Jaurès, Paris (19e), 5-12€.

Catalogue de l’exposition : RIEFFEL, Véronique (dir.), Al Musiqa. Voix et musiques du monde arabe, éd. Cité de la musique – Philharmonie de Paris/La Découverte, 224 p.

Notes :
(1) Entretien avec Véronique Rieffel publié sur le site de la Philharmonie : https://philharmoniedeparis.fr/fr/magazine/au-coeur-de-lexposition-al-musiqa
(2) V. RIEFFEL (dir.), op. cit., Introduction.
(3) Ibid.
(4) Ibid., Avant-propos.

https://philharmoniedeparis.fr/fr/exposition-al-musiqa

Lire l’article sur le site Les clés du Moyen-Orient


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