Culture et politique arabes

Disparition d’Ahmed Khaled Towfik, un géant de la littérature populaire arabe Par Yves Gonzalez-Quijano - Avril 2018

, par Mohammad Bakri


Pas un mot en dehors de la presse arabophone à propos de la disparition d’Ahmed Khaled Towfik (أحمد خالد توفيق), un géant de la littérature populaire arabe. Celui qu’on appelait le « parrain de la science-fiction » arabe a succombé à une énième attaque cardiaque il y a quelques jours, à l’âge de 55 ans. Il a été enterré le 3 avril, comme l’avait prédit le narrateur d’un de ses livres, Café à l’uranium (قهوة باليورانيوم) six ans plus tôt…

Malgré une existence relativement brève, Ahmed Khaled Towfik, qui était aussi médecin enseignant à l’Université de sa ville natale, Tanta, aura publié, selon certains chiffres, plus de 500 titres ! Extravagante à première vue, cette estimation n’est pourtant pas totalement irréaliste sachant qu’au plus fort de sa production, entamée en 1992, il était capable d’écrire plus d’une vingtaine d’ouvrages par an.

De courts textes il est vrai, guère plus d’une centaine de pages (l’équivalent d’un Que sais-je ? par exemple), dans le cadre de séries mensuelles qui ont permis à des générations de jeunes lecteurs arabes d’attraper le virus de la lecture. Inventeur pour ainsi dire du roman d’horreur ou du roman fantastique dans sa langue, Ahmed Khaled Towfik poursuivait simultanément plusieurs séries mensuelles, la plus célèbre restant toutefois celle de ses débuts, « Métaphysique » ( ما وراء الطبيعة, qu’on pourrait aussi traduire par « au-delà du réel »), avec son célèbre anti-héros, Rifaat Ismaïl, un vieux médecin de 70 ans, d’apparence ordinaire : 80 titres en tout, pour un million de volumes distribués selon cet article dans Al-Akhbar

On y lit également que des lecteurs, émus par la « mort » de leur héros, ont décidé en 1994 d’ouvrir à son nom une page Facebook (en fait, j’en ai trouvé deux, très suivies ! Ici et là), pages sur lesquelles sont intervenus des centaines d’auteurs et de lecteurs arabes pour commenter avec force citations, sur un mode tantôt sérieux tantôt humoristique, le départ du « cher disparu » !

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Par Joan Grandjean
6 avril 2018


Hommage à l’écrivain Ahmed Khaled Towfik (1962 – 2018)

Ahmed Khaled Towfik (أحمد خالد توفيق)
Il y a trois mois, les États-Unis perdait un pilier de la littérature SF, fantasy et jeunesse avec le décès d’Ursula Le Guin (1929 – 2018) ; aujourd’hui c’est avec tristesse que nous déplorons la perte de son semblable égyptien. Ahmed Khaled Towfik (1962 – 2018) est décédé d’une crise cardiaque ce lundi 2 avril 2018 à l’hôpital el-Demerdash au Caire.

Âgé seulement de 55 ans mais malade depuis quelques temps, il fut l’un des plus grands auteurs égyptiens de son époque.

Le « Parrain de la culture populaire » égyptienne

L’œuvre d’Ahmed Khaled Towfik est colossale : plus de cinq-cent ouvrages et une reconnaissance tant en Égypte que dans le reste du monde arabophone. En plus d’être un des romanciers égyptiens les plus connus, ses plumes ont largement contribué à enrichir le patrimoine culturel et littéraire arabe.

Pionnier dans le roman contemporain jeunesse, d’horreur, de SF et dans le thriller médical, Ahmed Khaled Towfik est en parallèle docteur et professeur en médecine. Originaire de Tanta, une ville située à une petite centaine de kilomètres au nord du Caire, il fit là-bas ses études en médecine avant l’obtention de son diplôme en 1985 pour y exercer par la suite en tant que professeur spécialiste des maladies tropicales.

Il fut le premier écrivain arabe à écrire des thrillers d’horreur et de science-fiction. Beaucoup de ses histoires se déroulent en Égypte, avec des personnages principaux devenus cultes, comme par exemple le docteur semi-autobiographique Refaat Ismael dans sa série Ma Waraa al-Tabiaa [Le supernaturel]. Comme l’atteste Vertigo d’Ahmed Mourad, ses livres ont inspiré une jeune génération d’écrivains qui ont grandi au rythme de ses contes et suivent maintenant ses traces en écrivant les leurs. (Tahira Yaqoob, The National)

Dans la salve d’articles publiés le lendemain de sa mort, il est sans cesse désigner comme étant le « Parrain de la culture populaire » (Pop Culture Godfather), notamment dans l’article du webzine anglais Arablit qui le titre en gros le lendemain de son décès. Il était donc évident de perpétuer cette appellation qui lui va comme un gant.

[Même si depuis quelques années il écrivait pour les adultes,] il se défendait d’abandonner ses fans les plus jeunes. « Je ne cesserai jamais d’écrire pour eux. Toute une génération me considère comme leur père, et ils m’ont apporté la gloire et le succès. Même s’ils ont grandi, ils me considèrent toujours comme leur mentor… » (Tahira Yaqoob, The National)

Un écrivain peu connu des francophones

Même si les ouvrages d’Ahmed Khaled Towfik ont été largement diffusés en Égypte, ils sont malheureusement peu lus des non-arabophones fautes de ne pas y avoir accès. Parmi ses plus connus en littérature jeunesse, nous ne pouvons pas ne pas évoquer ses sagas dont la première fut Ma Waraa al-Tabiaa, où les personnages principaux sont sans cesse confrontés à des phénomènes surnaturels ; Fantazia en est une autre dans laquelle le lecteur baigne dans un univers cyberpunk ; mais c’est avec la saga Safari que l’auteur s’approprie et fait découvrir le genre du thriller médical à l’égyptienne.

Toute la production littéraire d’Ahmed Khaled Towfik a été référencée sur le site internet Goodreads. Elle est très variée et mériterait d’être traduite pour une plus large diffusion de son œuvre. C’est d’ailleurs un détail pour lequel l’auteur était sensible de son vivant :

Dans un souci de diffuser plus largement des œuvres littéraires étrangères, Ahmed Khaled Towfik a en plus traduit des ouvrages anglais, russe et américain. Il a permis entre autre de faire découvrir le célèbre Fight Club de Chuck Palahniuk, et a par conséquent introduit la satire et la parodie de la littérature russe à de nombreux lecteurs égyptiens. (Hend el Behary, Egypt Independant)

Utopia – « un long et morne présent »

Toutefois, un des nombreux romans d’Ahmed Khaled Tawfik a été traduit en anglais, puis en français (et aussi en finnois, en allemand et en italien). Il s’agit d’un roman noir, intitulé Utopia, publié en arabe chez Dar Merit (2009), puis en anglais grâce à la Bloomsbury Qatar Foundation (2011), et en français dans la traduction de Richard Jacquemond pour la collection des éditions Flammarion Ombres Noires (2013).

Si le titre évoque le genre de l’utopie, il n’en est rien de tel. En réalité, Utopia n’est autre qu’une colonie dans une partie d’un Caire futuriste dont l’histoire se passe en 2023. Plus qu’un roman d’anticipation, nous avons réellement affaire à une dystopie. Dès les premières pages, Ahmed Khaled Towfik nous entraîne dans un sombre récit où les classes les plus pauvres sont parquées dans des bidonvilles alors que les plus aisées vivent de l’autre côté dans des colonies luxueuses. Ces colonies sont hautement sécurisées et la frontière avec les « Autres » est gardée par la société SafeCo, qui engage principalement des marines américains à la retraite. Si quelques malheureux Autres travaillent comme domestiques dans les colonies, une nette séparation est établie entre les deux parties de la ville pour qu’il n’y ait pas d’échange sous prétexte d’être non seulement traqué mais encore tué. En proie à un ennui (im)mortel, la jeunesse dorée de ces colonies a adopté un sport appelé « la chasse ». Les règles sont simples et consistent à franchir la frontière pour aller dans les bidonvilles et ramener un trophée. Ce trophée est en fait une partie du corps d’un Autre que le participant aura préalablement capturé et ensuite tué, sans se faire remarquer, puis ramener aux autres pour l’exhiber fièrement.

Nous autres, les jeunes, nous en sommes venus à considérer la chasse comme une sorte de test de virilité. Rassem l’a fait. Une nuit, il s’est infiltré dans une de ces zones sordides où vivent les Autres. Un quartier du Caire qui s’appelait Bab Chaareya, ou quelque chose comme ça, il y a vingt ans. Il a kidnappé un de ces Autres inutiles et l’a ramené à Utopia. Lui et ses amis se sont payé quelques bonnes journées à le pourchasser en voiture dans la colonie, avant de l’achever, et Rassem a conservé sa main coupée qu’il a fait embaumer. (Utopia, p. 37)

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