Cheikh Imam 1918-1995

, par Mohammad Bakri

Orient XXI
Par Mouna Chahine
14 août 2018

Cheikh Imam, porte-voix des colères égyptiennes

Pour les cent ans de sa naissance

Dans les ténèbres de l’injustice, « tu n’as pas d’autre guide que les yeux des mots ». Dans une de ses chansons les plus célèbres, le Cheikh Imam, par ailleurs aveugle, proclame la force du verbe et de la révolte. Et sa voix guide depuis plus d’un demi-siècle les colères du peuple égyptien.

Dans la mosquée Fadhel Pacha, à Darb Al-Gamamez, dans le quartier d’Al-Sayyida Zainab au Caire, le petit Imam Issa est envoûté par la voix d’un cheikh qui psalmodie la sourate « Al-Kahf » (« La caverne »). Cette voix lui plait. Il est encore plus admiratif quand il apprend qu’il s’agit du cheikh Mohamed Rifaat, le récitant du Coran à la radio. Mohamed Rifaat s’assoit à côté de lui pour discuter, écoute la récitation du petit Imam, le complimente et lui prédit un avenir brillant au Caire.

Si son père avait su qu’Imam serait un jour le « cheikh des créateurs », il ne l’aurait pas laissé errer seul entre les rues d’Al-Azhar et d’Al-Hussein. S’il avait pressenti ce don et ce génie en lui, il ne lui aurait pas interdit de remettre les pieds au village d’Abu An-Numros, là où nait Imam Issa le 2 juin 1918, où il perd la vue à l’âge d’un an à la suite d’une ophtalmie mal soignée.

Imam aime se cacher parmi la gent féminine durant les fêtes pour écouter ses chants et vibrer avec elle. Cela fait éclore un don que son père ne devinait pas, pas plus qu’il ne soupçonnait que ses compositions et ses chansons feraient partie du patrimoine.

Exclu pour avoir écouté la radio

Dès son enfance, Imam Issa montre une grande capacité à mémoriser. Pour son père, ce don le prédispose à devenir un vénérable homme de religion. Ses espérances seront déçues lorsqu’il apprend l’exclusion de son fils de l’association religieuse sunnite où il l’avait inscrit : il a été pris en flagrant délit en train d’écouter la voix de Cheikh Mohamed Rifaat psalmodiant le Coran à la radio. Un sacrilège ! La radio à cette époque fait encore partie des interdits, c’est une bidʻah (innovation hérétique).

Imam ne peut assister à l’enterrement de sa mère, il ne peut l’accompagner à sa dernière demeure. Et pour cause : son père est toujours en colère contre lui en raison de cette exclusion de l’association religieuse. Il l’a battu et lui a interdit de revenir au village.

Issa Imam vit au sein de groupes de chants religieux dans le quartier Al-Ghouria, à Haouch Kadam — c’est le vrai nom du lieu et non pas « Haouch Adam » comme cela est assez répandu dans certains milieux. Il s’emploie au chant religieux et à la récitation du Coran jusqu’à ce que le hasard lui fasse rencontrer Cheikh Darwish Al-Hariri, un des grands de la musique à l’époque. Celui-ci apprécie grandement la voix d’Imam qui devient son élève et l’accompagne dans les séances de chants religieux et de tarab, ce qui lui assure une certaine renommée.

Lors d’une rencontre avec Cheikh Darwish Al-Hariri, les cheikhs Zakaria Ahmed et Mahmoud Sobh font la connaissance d’Imam. Zakaria Ahmed prend rapidement la mesure de son intelligence et de son talent. Son don principal est sa grande capacité à mémoriser, à apprendre les compositions et à y déceler les points faibles.

La vie de Issa Imam évolue, il passe du chant religieux et du tarab à l’accompagnement de Cheikh Zakaria Ahmed au milieu des années 1930. Cheikh Zakaria, incapable de mémoriser ses compositions, a recours à Imam. Celui-ci les mémorise avant d’entreprendre de les faire apprendre à la diva Oum Kalsoum. Il en tire une grande fierté.

Lors d’une rencontre de café, Imam chantonne ; puis, pris d’exaltation, il répète des passages de deux chansons d’Oum Kalsoum qui n’avaient pas été encore diffusées, « Ahl Al-Hawa » (« Les gens de passion ») et « Ana Fi initidharek » (« Je t’attends »). Des passages qui vont être repris par les gens dans les rues. En l’apprenant, Oum Kalsoum et Cheikh Zakaria sont si furieux qu’ils chassent Imam de la troupe...

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